La lutte a d’abord consisté à apprendre au fils à marcher, puis à parler. Comment peut-on apprendre à quelqu’un à parler ? Et maintenant à lire. Le fils est arrivé avec deux ans de retard en cour préparatoire . Quand il rentre le soir, le père a la nausée à la pensée qu’il va devoir essayer de faire lire son fils, devoir user de ruses et de menaces pour un résultat dérisoire, pour toujours finir par perdre, le cœur brûlé de ressentiment contre lui-même de ne pas avoir réussi à maîtriser sa propre colère, d’avoir contribué à braquer plus encore le fils. Le fils, lui, résiste, sans malice, sans efforts.
Aujourd’hui est un jour pas comme les autres. Le jour de l’anniversaire du fils. Le jour où pour le père sont posées sur la table de la fête les deux années de retard du fils. Le jour surtout que le fils ne sait pas comment vivre. Le jour qu’il attend depuis des semaines et le jour où, plus encore que d’habitude, il s’enfermera en lui-même. Le jour où, plus que tous les autres, il se fera invisible. A force de le chercher on finira par le retrouver en train de se balancer dans un coin de la maison, au pied d’un mur. A moins qu’il ne se tape la tête sur ce même mur. Alors on le retrouvera plus vite, à cause du bruit.
En fait, si c’est toujours comme ça que les choses se passent, ce n’est jamais comme ça que les choses se passent. Il manque au tableau, pour qu’il soit exact, une couleur du côté de la mère, une couleur du côté du père. Cette couleur c’est l’espoir. L’espoir que la lecture va bien se passer, l’espoir que l’anniversaire va bien se passer. Cet inusable espoir s’alimente de presque rien, d’un fragment de phrase déchiffré, de quelques minutes de paix. Cet espoir est toujours démenti, mais il est increvable. Et il a toujours raison car le fils a fini par apprendre à marcher, a fini par apprendre à parler. L’espoir a toujours raison parce qu’il est du parti de la vie.
Le père regarde le fils jouer à la balançoire. Ce qui intéresse le fils ce n’est pas la balançoire. Ce qui intéresse le fils c’est de savoir si ses grands parents viendront à son anniversaire et s’il aura des cadeaux. Oui, ils viendront. Oui, il aura des cadeaux.
Pour aller au-delà dans la confidence le père hésite. Il ne sait pas trop que faire mais il sait, il l’a appris tout à l’heure par les grand-parents qui ont téléphoné. Les grand-parents lui ont dit le cadeau surprise, le cadeau dont ils sont fiers d’avoir eu l’idée, le cadeau qui réjouit leurs cœurs de grand-parents. Ils l’ont confié au père parce qu’ils étaient trop impatients, trop heureux de leur bonne idée. Ils savent, leur fille le leur a dit, que c’est le père qui fait lire le fils le soir. Ils disent même à leurs amis qu’ils ont un gendre formidable, un gendre qui fait lui-même lire son fils tous les soirs. Son fils qui, après un démarrage un peu difficile dans la vie, apprend à lire en CP. Ils ne savent rien des désespérants combats quotidiens. Comment les devineraient-ils du reste ? Quand ils appellent c’est nécessairement l’espoir qui leur répond au téléphone. La réalité ridiculiserait l’espoir et, après tout, l’espoir est réel lui aussi. Alors cette idée d’offrir deux livres de Oui-Oui elle est logique en somme.
Le père hésite. Ne vaut-il pas mieux prévenir le fils du cadeau pour éviter toute réaction désagréable ? Il décide de ruser, le père.
- Et si grand-père et grand-mère t’offraient des livres ?
Le fils prend un air catastrophé.
- Quand même pas. Des livres c’est pas un cadeau !
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