Je guette tes petits gémissements dans ton sommeil de l'autre côté de la cloison. La maison est silencieuse. La femme que j'aime repose près de moi. Je crois que ce n'est pas toi qui m'as réveillé juste avant l'aurore. Plutôt le calme de l'air. Le vent avait soudain cessé de laver la façade. Les tourterelles ne chantaient pas encore. Je n'avais rien de mieux à faire que de guetter la naissance du jour au travers des volets entrouverts. Et d'imaginer ton réveil que m'avait décrit ta maman.. Tes cris de joie. Comme les cris d'un aigle.
Je pense à elle qui t'a laissée, précieux cadeau. Elle doit dormir auprès de ton papa. Hier soir elle a téléphoné pour avoir de tes nouvelles et te souhaiter ton « moisiversaire ». Sept mois que tu sortais d'elle. Avant ta naissance j'étais friand qu'elle me parle de toi, de tes mouvements dans son ventre. Elle me racontait comment ton papa et elle se préparaient à ta venue. Les exercices qu'il fallait faire pour communiquer avec le bébé en train de se fabriquer. La chanson qu'avait inventée pour toi ton papa et qui, paraît-il, te faisait danser dans le ventre de ta maman. Je m'émerveillais de voir ce jeune-homme insouciant devenir père, avant même que tu naisses, par la grâce de son amour pour ta maman. Je me revoyais à son âge, mal équarri, maladroit, masculin en somme mais prêt à ouvrir mon cœur et à me laisser façonner par la femme de mon amour. Je lui prêtais la connaissance du mystère de la vie. C'était maintenant au tour de tes parents d'inventer leur manière d'être deux et de t'attendre comme nous avions attendu la naissance de ta maman.
Je ne me lassais pas de contempler ce que tes parents vivaient. Je m'émerveillais de ce que, comme eux, j'avais vécu à la même époque, sans toujours bien le réaliser.
Tu es née juste avant Noël et ton papa a passé la longue nuit du don de Dieu à l'étroit dans le lit de la maternité avec ta maman, et toi à côté, minuscule, immobile dans ton berceau. Nous l'avions attendu pour le réveillon. Quand nous avons su qu'il ne viendrait pas nous vous avons imaginés tous les trois, une famille désormais.
Nous t'avons découverte le surlendemain, sortant de l'hôpital. C'est ta maman qui nous a présentés. Elle te connaissait bien déjà. Elle pouvait nous parler de toi, nous faire pénétrer dans ton mystère. J'étais avide de ses paroles. Tu m'intimidais beaucoup, tu sais, et j'étais heureux que ma fille m'aide à te rencontrer. J'étais fasciné par ta manière de dormir sur le dos, tes deux poings fermés de part et d'autre de ta tête. Je te sentais tellement sereine, tellement forte pour grandir. Je ne me lassais pas de voir tes parents côte à côte. De les voir te prendre dans leurs bras et se retirer tous les deux avec toi dans une chambre close pour que tu puisses prendre le sein à l'abri des regards.
Pendant la semaine souvent j'allais te voir. J'aimais quand ta maman venait m'ouvrir la porte en te tenant dans ses bras. Au bout de quelques mois ton visage s'est illuminé d'un sourire quand tu me voyais arriver. Plus encore que ton sourire j'aime voir avec quelle tendresse ta maman te parle, comment elle construit jour après jour une relation unique avec toi. Elle t'invente de nouveaux jeux au fur et à mesure de ton éveil. Je sors de ces visites le cœur empli d'émerveillement pour ce lien d'intelligence et de tendresse qu'elle tisse avec toi. J'aime sa manière, qui n'appartient qu'à elle, de te parler, de te manifester son amour. Elle me raconte tout ce que ton papa et elle imaginent pour toi, les petits déjeuners en famille, toi assise sur ta chaise haute au niveau de tes parents, si fière de participer à leur vie. Ce moment est un viatique pour la longue journée de ton papa. Il emporte avec lui tes sourires et tes gestes tout à la fois maladroits et gracieux.
En pensant à tout cela j'ai dû m'endormir car le jour est bien levé et voici que commencent tes petits cris joyeux d'aigle qui saluent le début de ta journée. Tout à l'heure je raconterai ton réveil à ta maman quand elle appellera.
dimanche 25 juillet 2010
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