Paris, le 31 décembre 20XX
Cher monsieur,
Cette nuit, ou plutôt au petit matin, j'ai fait un rêve très plaisant qui m'a laissée toute joyeuse à mon réveil. Dans ce rêve vous occupiez une place prépondérante, ce qui m'a incitée à vous l'écrire en cette période de vœux. Je sens bien combien il peut être périlleux d'écrire un rêve à un homme qui a été pendant plus de dix ans votre psychanalyste alors que cette analyse s'est arrêtée, ni interrompue ni terminée, dans une certaine confusion. Je ne peux plus me prévaloir de la protection de la muraille de billets que séance après séance j'ai bâtie en économisant sur mon quotidien. Non pas que je regrette l'aventure, croyez le bien!
Après m'être un moment réveillée aux dernières heures de la nuit je me suis rendormie sans y prendre garde et c'est dans ce moment que mon rêve est né. Il se déroula dans un appartement que je ne connais pas, vaste et lumineux. Je devais être fort aisée car à un moment du rêve un beau majordome vêtu sans cérémonie traversait discrètement la pièce où nous devisions, une chambre ou un salon avec un canapé sur lequel j'étais étendue,. J'avais invité toute une série pas très fixée de personnes à venir me voir cet après-midi-là. Vous étiez le seul de mes hôtes dont l'identité fût claire. Il y avait également, mais sans que je puisse en être certain, un ami de ma prime jeunesse que j'avais fort aimé quoique de manière platonique. Il était accompagné de sa femme et d'autres sans doute.
Ces rendez-vous avaient une certaine importance car il s'agissait de parler de moi. Je me rendis compte que les différentes personnes que j'avais invitées risquaient de se trouver ensemble à la même heure et ce mélange me parut avoir quelque chose d'inconvenant. Peut-être que vous, en particulier, vous formaliseriez-vous de cet étalage et de cette mise en commun de réflexions personnelles. Cette pensée fut le seul moment un peu pénible de mon rêve. Mais je passais outre à cette difficulté qui se réveillait pourtant chaque fois que je lançais une nouvelle invitation.
Un de mes invités me signala que malgré la maladie qui ravageait votre corps depuis des années, nous savons hélas tous les deux que votre Parkinson n'appartient pas qu'à mon rêve, vous restiez un athlète accompli et que vous gardiez par un intense et sévère entraînement certains muscles particulièrement bandés. Je dis les choses telles que je les ai perçues dans mon rêve et vous m'avez appris à me défier des premières interprétations obvies.
Vous de votre côté avez regretté auprès de moi que durant toutes ces années de psychanalyse je ne me sois jamais soucié de votre état d'esprit et que je ne vous aie jamais dit qu'il faisait beau dehors. J'en fus attristée. Nous avons alors parlé de reprendre l'analyse interrompue depuis plusieurs années. Je me demandais si cela valait la peine car je n'avais guère plus de dix ans à vivre. Je n'ai pas osé vous demander si reprendre une analyse me permettrait de pouvoir enfin devenir l'écrivaine que je rêvais d'être. Vous m'avez dit que ce serait nécessaire et long mais que cela me permettrait de corriger ma timidité et ma lenteur.
Le rêve m'a ensuite placée avec mes autres hôtes dans une véranda ensoleillée, assise dans un profond fauteuil. Un chat est entré par une chatière et je me suis avisée que vous n'étiez pas là. Je suis partie vous chercher dans une salle d'attente. Une femme (ma mère?) a fait remarquer combien j'étais attentive à vous. Vous étiez effectivement dans la salle d'attente avec une autre personne que j'avais également convoquée et que je ne connaissais pas mais qui appartenant au registre professionnel de ma vie. Elle m'a dit qu'une équipe de télévision attendait au rez-de-chaussée de l'appartement mon ancien patron qui m'a récemment fait souffrir. J'hésitais à aller parler aux journalistes qui venaient chez moi.
Voilà, cher monsieur, les chocolats que j'ai goûtés de matin et que j'ai voulu vous envoyer. J'espère qu'ils ne sont pas empoisonnés.
Aline de V.
vendredi 30 décembre 2011
dimanche 25 décembre 2011
Ligne une V
Marchant à pas vif, courant presque, il dépasse l'homme sur le quai. A peine lui jette-t-il un regard. Son seul souci est d'éviter de se trouver sur la trajectoire de la longue canne à gros bout caoutchouté avec laquelle l'homme balaie le chemin devant lui.
Ouf, il est dans la rame! Toutes les places assises sont prises. Il n'est même pas possible de s'adosser à la porte qui restera fermée côté voie. Il s'accroche à la barre à trois branches face à l'entrée de la rame. De tous les emplacements qui lui restent accessibles c'est le meilleur. En cas d'afflux de voyageurs la barre le protégera un peu du flot et de la presse. Il apprécie d'autant plus de trouver cet emplacement qu'un homme d'âge mûr, imposant dans un grand manteau en poil de chameau s'est déjà accroché à l'une des deux autres branches , celles qui sont du côté du quai. Si nécessaire il lui servira également de rempart contre la horde déferlante.
L'aveugle monte à son tour, poussé en avant par une femme qui reste sur le quai, et il saisit la troisième branche de la barre. Depuis que les rames sont automatisées les arrêts en station sont plus longs. Le métro démarre et il peut les regarder à loisir. L'homme au manteau en poil de chameau et l'aveugle se font face, anormalement proches l'un de l'autre. Quand l'aveugle a saisi la barre l'homme au poil de chameau ne s'est pas reculé.
L'aveugle est plus jeune que lui. Il observe ses yeux globuleux qui ont l'air d'être en porcelaine. De sa main droite il tient à la fois sa longue canne verticale le long de son corps et la barre. Il lui semble que ses yeux se mettent à sortir d'avantage et sa tête est prise de mouvements convulsifs vers le ciel. L'homme au manteau en poil de chameau ne bronche pas. La rame roule désormais. Et voilà que dans le prolongement des mouvements saccadés de sa tête l'aveugle lâche la barre et se met à danser une étrange danse d'ours. Cela donne l'impression qu'il va marcher vers l'homme au manteau en poil de chameau toujours impassible. Mais malgré leur piétinement les pieds de l'aveugle n'avancent pas. Son corps semble être l'objet d'une force intérieure terrible qui le pousse à ces mouvements pathétiques et désordonnée. Puis l'aveugle toujours silencieux s'apaise, se raccroche à la barre avant de reprendre ses convulsions sans lien avec les mouvements de la rame.
Il aimerait parler à l'homme aveugle, lui dire que son compagnon au manteau en poil de chameau et lui sont là, qu'ils n'ont pas peur de son étrange dandinement, qu'ils le soutiennent. Il n'ose pas. Il n'est pas sûr que l'aveugle enfermé dans les convulsions de son corps qui doivent être douloureuses apprécie d'avoir des témoins. Mais est-ce qu'il estime, parce qu'il est aveugle que personne ne le voie? De toute façon maintenant il est trop tard pour rompre le silence devenu aussi inflexible que la main de fer qui tord inexorablement le corps de l'aveugle entre de courts répits. Il se sent désormais lui-même en cage dans ce silence maintenant qu'il ne peut plus détacher ses yeux du spectacle de la danse muette et solitaire de l'aveugle en face de l'homme au manteau en poil de manteau dont il doit ne pas même soupçonner la présence si près de lui.
Ouf, il est dans la rame! Toutes les places assises sont prises. Il n'est même pas possible de s'adosser à la porte qui restera fermée côté voie. Il s'accroche à la barre à trois branches face à l'entrée de la rame. De tous les emplacements qui lui restent accessibles c'est le meilleur. En cas d'afflux de voyageurs la barre le protégera un peu du flot et de la presse. Il apprécie d'autant plus de trouver cet emplacement qu'un homme d'âge mûr, imposant dans un grand manteau en poil de chameau s'est déjà accroché à l'une des deux autres branches , celles qui sont du côté du quai. Si nécessaire il lui servira également de rempart contre la horde déferlante.
L'aveugle monte à son tour, poussé en avant par une femme qui reste sur le quai, et il saisit la troisième branche de la barre. Depuis que les rames sont automatisées les arrêts en station sont plus longs. Le métro démarre et il peut les regarder à loisir. L'homme au manteau en poil de chameau et l'aveugle se font face, anormalement proches l'un de l'autre. Quand l'aveugle a saisi la barre l'homme au poil de chameau ne s'est pas reculé.
L'aveugle est plus jeune que lui. Il observe ses yeux globuleux qui ont l'air d'être en porcelaine. De sa main droite il tient à la fois sa longue canne verticale le long de son corps et la barre. Il lui semble que ses yeux se mettent à sortir d'avantage et sa tête est prise de mouvements convulsifs vers le ciel. L'homme au manteau en poil de chameau ne bronche pas. La rame roule désormais. Et voilà que dans le prolongement des mouvements saccadés de sa tête l'aveugle lâche la barre et se met à danser une étrange danse d'ours. Cela donne l'impression qu'il va marcher vers l'homme au manteau en poil de chameau toujours impassible. Mais malgré leur piétinement les pieds de l'aveugle n'avancent pas. Son corps semble être l'objet d'une force intérieure terrible qui le pousse à ces mouvements pathétiques et désordonnée. Puis l'aveugle toujours silencieux s'apaise, se raccroche à la barre avant de reprendre ses convulsions sans lien avec les mouvements de la rame.
Il aimerait parler à l'homme aveugle, lui dire que son compagnon au manteau en poil de chameau et lui sont là, qu'ils n'ont pas peur de son étrange dandinement, qu'ils le soutiennent. Il n'ose pas. Il n'est pas sûr que l'aveugle enfermé dans les convulsions de son corps qui doivent être douloureuses apprécie d'avoir des témoins. Mais est-ce qu'il estime, parce qu'il est aveugle que personne ne le voie? De toute façon maintenant il est trop tard pour rompre le silence devenu aussi inflexible que la main de fer qui tord inexorablement le corps de l'aveugle entre de courts répits. Il se sent désormais lui-même en cage dans ce silence maintenant qu'il ne peut plus détacher ses yeux du spectacle de la danse muette et solitaire de l'aveugle en face de l'homme au manteau en poil de manteau dont il doit ne pas même soupçonner la présence si près de lui.
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