La ligne une est
l'intention de relier les points d'émergence des stations qui la
constituent, de Château de Vincennes à La Défense dans les deux
sens. Elle offre à ceux qui l'empruntent la possibilité de lire des
livres, des dossiers, des journaux payants ou gratuits, des écrans
reliés au monde entier, ou même des visages. Il est possible d'y
écouter de la musique, celle qu'on emmène avec soi ou qu'offre
parfois un baladin du métro avec plus ou moins de bonheur, des
bribes de conversations en vis-à-vis ou au téléphone. On peut y
rêvasser, y dormir et même s'y ennuyer.
Pour l'instant il rallie
Concorde à Bastille mais il ne peut ni lire, si ce n'est des visages
et des statues sur leurs socles, ni dormir ni s'ennuyer. Il pourrait
écouter de la musique comme beaucoup de ceux qu'il croise. Mais ce
n'est pas ainsi qu'il pratique la course à pied. Il est arrivé au
jardin des Tuileries, sur le trajet de la ligne une, mais décalé de
son tracé qui doit cheminer en souterrain sur sa gauche. Cet
exercice sportif modéré de début de week-end est devenu pour lui
un véritable rituel apaisant et il faut des circonstances
climatiques ou personnelles exceptionnelles pour qu'il ne s'y
soumette pas chaque semaine. De surcroît il vaut à sa cinquantaine
dépassée l'approbation de son médecin et coupe court à des
questions qui deviendraient trop pressantes sur son hygiène
alimentaire ou sa consommation quotidienne de cigarettes.
La matinée est
particulièrement agréable avec un soleil chaleureux de début
d'automne. Ses foulées se déroulent en souplesse et il ne sent pas
la moindre petite douleur, annonce d'un claquage musculaire ou d'une
tendinite, sans parler d'un accident cardiaque. Non, décidément,
les conditions sont idéales !
Il arrive à l'Arc du
Carrousel, dépasse les marchands sénégalais de tours Eiffel et
s'arrête sagement au feu avant de pénétrer dans l'espace vaguement
délimité par des barrières métalliques entre les bâtiments en U
où se dressent les pyramides de Pei. Les visiteurs ne sont pas
encore trop nombreux, entre ceux qui font la queue à la base de la
pyramide principale pour entrer au musée et les touristes qui se
reposent sur les margelles des bassins ou les couples de touristes du
monde entier qui se photographient l'un l'autre devant le monument.
Certains jours où il interrompt sa course pour reprendre souffle il
peut lui arriver qu'on lui confie l'appareil photo pour réaliser un
de ces clichés banals des deux tourtereaux destiné à finir dans un
cadre argenté sur une desserte quelque part dans l'Alabama ou le
Sichuan. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui où ni la densité des
visiteurs ni sa fatigue ne le contraignent de passer de la course à
la marche.
Cela ne l'empêche pas de
regarder du coin de l’œil ce qui se passe autour de lui,
d'apprécier la beauté des femmes, de supputer le potentiel sexuel
de leur couple. Plaisirs secrets d'un voyeurisme imaginaire
recueillis au passage. En s'approchant des escaliers qui mènent à
la Cour carrée il remarque une jeune femme blonde, elle pourrait
être suédoise ou norvégienne, qui fait mine de tenir la Grande
pyramide dans sa main droite à plat pour l'objectif de son
compagnon. Elle est vraiment charmante, pleine de fraîcheur elle
exhale la joie de vivre. Il poursuit sa course et décide de se
retourner pour lui faire un signe appréciateur du pouce dans le dos
de son compagnon. Mais à l'exact moment où il fait son geste
accompagné d'un sourire la belle lui tire la langue. Cette
simultanéité inattendue transforme son sourire en rire et il
l'entend qui rit, elle aussi.
Cet épisode de complicité
l'enchante alors qu'il poursuit sa course. Est-ce que la belle va
donner à son amoureux l'explication du tiré de langue suivi d'un
rire ?
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