mercredi 25 avril 2012

La chambre d’amis

            Une odeur de vide et de renfermé. Il essaie d’analyser. C’est curieux cet intérêt soudain pour ses sensations olfactives. Mais cela a le mérite d’occuper l’esprit, ça va peut-être lui permettre de découvrir une autre réalité plus vivable. Au point où il en est. Cette odeur particulière, presque insensible doit venir de ce que l’air est enfermé dans une pièce où il n’y a habituellement rien de vivant, rien qui ait une odeur propre. Pas de meubles en bois ciré, pas de brassements d’air, d’entrées et de sorties, pas d’humains qui sentent la cigarette, le parfum, la chaleur ou la savonnette, encore moins de citronniers en fleur. Une armoire vide en formica au pied du lit à deux places qui occupe presque toute la largeur de la chambre avec un couvre-lit dans une espèce de peluche jaune. Un sac de voyage qui contient quelques affaires pour la nuit et le lendemain Et lui couché au milieu du lit, ses pieds croisés et chaussés dépassent pour ne pas salir, et touchent presque l’armoire. Sur le mur de gauche il sait qu’il y a la porte à moitié ouverte d’une minuscule salle de bain-WC avec un lavabo et une cabine de douche.

          Mais il ne regarde pas en direction de la salle de bain. Son regard est fixé sur le plafond crépi blanc gaufré. À regarder ce plafond éclairé par deux meurtrières horizontales de part et d’autre de l’armoire il ne sait pas à quelle illumination il espère accéder. La pièce est aux trois quarts enterrée et pour peu que le gazon soit tondu les meurtrières ne permettent pas de voir la tête des herbes, même quand on est debout. Il ne faut surtout pas qu’il se mette à penser que c’est un caveau. C’est une chambre d’amis, pas un caveau. Couché les bras croisés derrière la tête à regarder le plafond il attend que la nuit tombe. En cette saison il a une bonne heure et demie à attendre. Et après ?

          Il ne peut s’empêcher de guetter les bruits de la maison, au-dessus de sa tête. Le déplacement d’une chaise sur le carrelage de la cuisine et son cœur s’arrête de battre. Il s’est promené tout le dimanche après-midi. Il a pris un sandwich et une bière au café de la Place et il est rentré par le garage et la cave dans la chambre d’amis sans faire de bruit pour que personne ne remarque sa présence. Maintenant il devine le brouhaha des enfants, il aimerait pouvoir suivre les conversations autour de la table familiale de la cuisine. Le dimanche soir on ne dîne pas à la salle à manger. Il a l’impression qu’un animal cruel, un renard comme dans l’histoire du jeune spartiate, lui dévore le cœur. Il ne sait pas comment il va pouvoir tenir. Demain matin, quand Anne et les enfants seront partis il ira joindre son cabinet au rez-de-chaussée. Avant il aura transféré ses vêtements de ce qui ce matin encore était sa chambre vers l’armoire de la chambre d’ami. Cela durera jusqu’à ce que les remboursements de la maison et du cabinet pèsent moins lourd. Des mois, des années peut-être.

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