samedi 5 janvier 2008

Aujourd’hui j’ai perdu un ami

Il y a deux ans, lorsque je suis arrivé dans ce quartier bourgeois-bohême de la Bastille, c’est lui qui m’a accueilli. Je l’ai rencontré la première fois que je suis allé faire mes courses au Monoprix. Il parlait avec deux ou trois personnes. Il faisait beau, l’air était léger. C’était le printemps et j’étais content de mon nouvel appartement, de ce quartier à découvrir. Je me suis arrêté parce que, désormais, j’étais d’ici. Il m’a salué d’emblée et je me suis immédiatement à l’aise pour parler avec lui, et avec les autres passants. Nous ne nous connaissions pas, mais il nous rendait plus humains.

Par la suite, chaque fois que je le voyais, nous nous saluions et nous échangions quelques mots. Je l’appelais patron, parce qu’il régnait avec autorité sur la large banquette de pierre surélevée au pied de l’immeuble de bureaux où je le rencontrais. C’est là qu’il dormait, accueillant souvent pour quelques jours un ou deux compagnons de galère. Lorsque je partais trop tard au travail, il n’était plus là. Il m’expliqua un jour qu’il déposait ses affaires chez un commerçant du quartier le matin pour laisser la place nette dans la journée. Il me dit aussi qu’il travaillait à mi-temps comme dessinateur industriel. Je ne sais pas si c’est vrai.

Il venait de l’île de la Réunion. Il avait un type indien. Ses cheveux épais, gris, formaient une sorte de crinière autour de son visage. Parfois il se plaignait de sa santé. Le médecin du dispensaire lui avait donné des médicaments dans de grandes bouteilles d’eau en plastique. Il ne devait plus boire d’alcool. Il avait des problèmes aux pieds aussi. Des champignons. Un jour, ou plutôt une nuit, on lui a volé ses chaussures. Je suis allé chercher une paire à moi que je lui ai donnée. Une fois il m’a demandé de l’argent. Je lui ai dit que je ne pouvais pas lui en donner. Il n’a pas insisté.

J’étais fier, quand je me promenais avec ma fille, le samedi matin, de le saluer. Après, il me disait qu’elle était belle. Et j’étais également fier quand elle parlait à sa mère de l’ami de son père qui vivait dans la rue.

Ce matin de début 2008, au retour des vacances de noël, il faisait très froid. Je me dis qu’en raison de la température il n’avait pas dû dormir là. Il faisait encore nuit mais je fus surpris de voir de loin une grille, là où il vivait d’habitude. A cette distance j’avais l’impression que quelque chose était là, à l’intérieur de la grille, certainement ses affaires. Je m’imaginais, un court instant, qu’elle avait été posée pour que lui, est ses compagnons, puissent dormir tranquille. En m’approchant je vis que ce que j’avais pris pour des affaires de couchage était une plate-bande de plantes décharnées par le froid.

Peut-être que les plantes existaient déjà ou peut-être qu’elles ont été installées sur le dallage pour justifier les grilles, je ne me souviens pas au juste. Ce qui est en revanche certain, c’est que cette grille, coûteuse, haute et solide, a définitivement chassé de ce minuscule endroit de Paris mon ami, et ceux à qui il offrait l’accueil de sa protectrice sagesse,. Ce qui est certain, c’est que j’ai perdu, et tout le quartier avec moi, un ami.

L’immeuble où la grille a été installée abrite le Régime Social des Indépendants, Boulevard de la Bastille dans le douzième arrondissement.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Arthur ... pourquoi n'écris-tu plus sur les impromptus ni sur paroles plurielles ? Ton écriture manque :-)