vendredi 27 janvier 2012

L'Homme de janvier

L’Homme de janvier peut être un homme ou une femme. Parfois c’est un petit garçon ou une petite fille, ou quelqu’un qui se souvient de l’avoir été ou encore qui l’est resté.

Il a pu naître dans la chaleur de l’hémisphère Sud, dans la froidure de l’hémisphère Nord, ou dans la touffeur d’entre les deux tropiques. Il arrive également, mais c’est plus rare, que l’Homme de janvier réconcilie climat nord et climat sud lorsqu’il est né au pôle Nord ou au pôle Sud.

L’Homme de janvier peut mourir de honte et de misère ou de satiété et d’ennui. Il peut être heureux ou malheureux, parfois l’un parfois l’autre aussi. Il peut avoir toutes sortes de croyances et d’incroyances, d’espoirs et de peurs, d’amours et de haines.

Mais toujours l’Homme de janvier mérite qu’on reconnaisse sa dignité comme les Hommes des onze autres mois de l’année.

samedi 21 janvier 2012

Le mariage de ma cousine

J’avais hui ans. C’était le mariage de ma cousine Véra. J’étais garçon d’honneur et je me souviens de tout. Je portais un ridicule costume gris clair avec un short long qui laissait voir mes genoux. Nous habitions tous Marseille et le mariage avait eu lieu dans la ville. C’était la fin du printemps. Le curé se mouchait tout le temps. Il devait avoir le rhum des foins. Moi j’avais un peu mal au cœur de sentir les parfums des femmes autour de moi. Pour me distraire je regardais les lumignons dans des verres rouges qui montaient comme un incendie vers la Vierge sur le gros pilier à droite de l’autel. C’était long ! Après il avait fallu faire les photos et enfin la fête dans une auberge à la campagne près de la mer!

Maintenant il était plus de minuit. C’était l’heure du croquembouche, tout luisant de caramel. Les choux dressés les uns sur les autres m’ont fait penser aux lumignons de tout à l’heure à l’église, mais au lieu d’une jeune femme avec une écharpe bleu ciel au sommet il y avait un couple de mariés en figurine sur une petite coupelle blanche. La pièce montée, nous les enfants battions tous des mains.

Mais moi, l’idiot, le malheureux, je me suis imaginé sur la coupelle avec mon meilleur ami de l’époque, Jacques. Je n’ai certainement pas compris la signification de mon souhait, pensez, j’avais huit ans et de ces choses on ne parlait pas dans ma famille. Mais j’ai brusquement senti une impitoyable barre de fer qui me bloquait le haut de la poitrine et m’empêchait de respirer. J’ai immédiatement compris que je ne devrais à aucun prix parler ni de la barre de fer ni du reste. D’où me venait cette peur ? Je l’ignore mais la barre m’a accompagné pendant des années, plus ou moins présente, plus ou moins forte, avant qu’un jour, grâce à toi, Patrice, je puisse consentir à ce que j’étais.

La suite tu la connais.

mercredi 11 janvier 2012

La tour

Je suis si fatigué.

Tous ces appareils qui clignotent autour de moi .. Je n'ai plus longtemps à vivre ... Je me tais... Je ne sais pas si je pourrais parler... Je ne sais pas si je reste éveillé... Ma quatrième femme rode... Elle a le droit d'espérer ma mort... Cet écart d'âge... Tout cet argent... qu'elle n'aura pas ...

J'avais dix ans. Je lisais Ivanhoé. Je rêvais à la tour en ruine. La vieille porte en bois. Trop petite. Usée. Une porte de cabane à outils qui tenait par une chaîne accrochée à un cadenas. Pas une porte de château. Sur le bord, par le trou de la chaîne on ne distinguait rien. Trop noir. Il y avait un passage secret, un souterrain, des oubliettes, un trésor. J'en étais sûr. J'en rêvais la nuit.

Il m'a fallu trois ans pour oser. Forcer le cadenas. Une lampe torche. Des gravats. De vieux chiffons. Pas de passage secret. Pas de souterrain. Et trente secondes pour me faire choper par le père Mathieu. L'oreille qui fait mal. L'haleine de l'ivrogne. La menace de tout dire à mes parents, à monsieur le maire. Les bouteilles de vin que j'ai dû subtiliser en douce dans la cave de mon père jusqu'au moment où je suis parti pour étudier à Toulouse. Ma réussite dans les affaires. Ma fortune. Mes mariages. Mes divorces. Mon retour au pays. Cette tour en ruine rachetée, réhabilitée. L'inauguration par le maire avec le préfet. Ce discours: « Grâce à vous, huit cents ans après sa construction cette tour est repartie pour huit cents ans ... »

Et le trésor? Dans huit cent ans un gamin de treize ans forcera la porte d'une tour en ruine. Il trouvera sous une trappe dissimulée les cent lingots d'or que j'ai amenés dix par dix après la fin des travaux. Cent lingots que ma femme n'aura pas. Je vais mourir... Je tends la main à ce ga...

lundi 2 janvier 2012

Le représentant

J'ai la main sur la poignée de la porte, je prends le pouls de la maison. Tu parles. Je me marre! Pas besoin d'être docteur pour gagner du fric. Moi j'ai pas mon certofe et les docteurs je les emm... Suffit d'être pro. Ce lotissement minable avec ses chemins en terre c'est un tas d'or mais faut pas y aller n'importe comment. Faut sentir avant de mettre la main sur la poignée. L'idéal c'est quand la femme plaquée par son mec parce que les traites de la maison sont trop lourdes. Ou qu'elle l'a foutu dehors sans réfléchir la conne, la salope. Avec des mioches à l'école primaire ou au collège. Elle culpabilise à mort qu'elle a pas le temps de s'en occuper. Il faut bien vivre, les ménages, tout ça. Avec l'autre tarlouse qui s'est tiré et qui donne rien pour les gosses. Alors bien sûr l'école c'est pas ça. Hé, hé. C'est vrai que j'aime bien la sensation quand j'ai appuyé sur la sonnette, fort, et que je mets la main sur la poignée de la porte pour la secouer comme si j'étais la police ou l'huissier. Histoire de mettre dans l'ambiance. Allez, on se dépêche ma petite dame.

Évidemment quand je suis entré c'est le contraire, je deviens tout sucre, tout miel. Je caresse la joue des mômes. Pouah! Ils travaillent bien à l'école vos enfants au moins? Justement j'ai ce qu'il vous faut. Un investissement pour la vie. Je m'installe. Je prends mon temps. Je dis des blagues que la femme elle est obligée de rire. Je suis le père Noël. Les gosses me regardent. C'est le cas idéal. Ils ont pour ainsi dire plus de papa. La maman aussi elle a envie d'y croire. Les devoirs qui se font tout seul, les exposés, le goût des études. Et l'orthographe? Surtout l'orthographe! Vous pensez bien.

Après c'est du gâteau. Combien ça coûte? Franchement on peut toujours s'arranger. On peut faire un crédit. Sur deux ans. Vous vous rendez compte: pour que les enfants réussissent à l'école. C'est beau madame de voir ce que vous venez de faire, les yeux du grand garçon qui brillent. Toute sa vie il sera reconnaissant à sa maman. Pas vrai mon garçon? Si vous avez un doute vous avez huit jours pour vous rétracter. Signez là pour prouver que je vous l'ai bien dit. Allez mon grand garçon, comment tu t'appelles?

Tout ça c'est comme qui dirait de la roupie de sansonnet. Non le secret c'est de bien savoir repérer la famille qui est le plus dans la m... Pour la trouver il faut être un peu malin. Cette maison là dont le jardin n'a pas encore de pelouse et dont le crépi n'est pas posé c'est excellent. Les papiers peints qui se décollent à l'intérieur à cause de l'humidité des murs ça fera des choses à raconter aux voisin. Ben oui, il faut qu'ils comprennent que pour leurs gosses ils ont intérêt à faire des sacrifices eux aussi. C'est comme ça qu'on les chope les uns après les autres. Dans la vie il faut savoir être malin. Et si ces gamins sont malins ils n'ont pas besoin de faire d'études. Ils ont qu'à faire comme moi: vendre des encyclopédies!