mercredi 17 août 2011

Ligne une III.


Il ne l’avait pas remarquée immédiatement. Il était certain qu’elle n’était pas là lorsqu’il était entré dans la rame. Elle était assise en biais de l’autre côté de la l’allée dans la rangée de sièges en face de la sienne et lisait le Financial Time. Elle avait dû monter dans une des stations des quartiers chics car son physique superbe de femme d’âge mûr admirablement conservée respirait l’aisance, la classe même. Il n’était pas connaisseur mais il sentait que ses vêtements sobres et chics devaient être coûteux. Une étoffe de lainage tout à la fois souple et épais. Ses cheveux châtains mi-longs étaient coiffés de manière à donner un sentiment de liberté.

Il commença à rêver à cette femme. Seules ses mains détonnaient. A ce stade de la rêverie il fallait bien lui fixer plus précisément un statut marital en regardant ses mains. Elles ne portaient aucun anneau, aucune bague. Il aurait été exagéré de dire qu’elles étaient noueuses mais les articulations en étaient marquées, lui laissant à penser qu’elle était plus âgée que son visage ne le faisait paraître. Cela rendait encore plus émouvant l’éclat de cette beauté qui résistait à la menace du temps. Il fit mine de fermer les yeux pour pouvoir revenir librement à la contemplation du visage. Il s’avisa que la femme ne portait aucun bijou, aucune boucle d’oreille, aucun collier.

Elle devait pourtant disposer de revenus importants et elle lisait le Financial Times. Elle lui paraissait avoir le type de ces femmes riches qui se font conduire par leur chauffeur dans des limousines aux vitres arrière noircies, burka automobiles en quelque sorte. Les marchés n’étaient pas encore ouverts. Elle ne devait pas être trader. A cette heure les traders dormaient encore. Ils rêvaient aux coups de la veille, au montant de leur bonus. Il était trop tôt même pour les employés ordinaires. La rame était presque vide. Décidément cette femme qu’il sentait si pleine de force et d’assurance l’intriguait. Il se plaisait à imaginer une panthère levée à l’aube pour mettre en œuvre quelque mauvais coup concocté aux toutes dernières heures de la nuit avec le bureau de Tokyo. Cette femme ne pouvait s’être levée si tôt que pour faire des choses importantes, un peu terrifiantes.
Pour confirmer son impression il regarda ses jambes. Elles étaient comme il les attendait, sans défaut, élancées et solides. Ses pieds étaient chaussés de chaussures crème de facture soignée, les talons légèrement évasés vers une base carrée qui donnait une impression de solidité. Il se dit qu’il n’en a jamais vu de pareilles, d’aussi adaptées à montrer tout à la fois l’élégance et la force.
Sur le quai du terminus il la perdit de vue. Elle avait dû partir de l’autre côté.

Il croisa une jeune femme très belle qui aurait pu être celle qui l’avait troublé dans le métro, mais plus jeune d’une quinzaine d’année. Elle se tenait debout contre le mur, laissant s’écouler le flot des voyageurs pressés de rejoindre leurs bureaux. De sa main droite elle semblait essayer de réparer quelque embarras le long de sa jambe sans en avoir l’air. Il passa en faisant mine de n’avoir rien remarqué, gardant en tête le souvenir de ses jambes longues et fuselées, de ses chaussures aux fins talons aiguille. Il imagina quelque problème de bas, de jarretelle.

lundi 8 août 2011

Il se tient fermement à la rampe et regarde ses pieds en descendant l’escalier de la station du métro, particulièrement profonde à cet endroit. La station suivante est juste de l’autre côté de la Seine. Accrochée à la même rampe il ne voit de sa tête qui monte vers lui que sa chevelure noire partagée en deux parts égales par une raie droite, torsadée en une tresse épaisse sur un haut d’un bleu sombre, presque marine. Il se fait la remarque que vue ainsi avec sa manière accablée mais résolue de gravir les marches on dirait une pauvre femme indienne des Andes.

La femme qui n’a pas levé les yeux vers lui a dû sentir sa présence car sans interrompre son ascension elle commence à se détacher de la rampe pour le laisser passer. Mais lui, grand seigneur, ne veut pas qu’il soit dit qu’une pauvre bolivienne serait tenue de lui laisser la voie. Il se détache franchement de la rampe. La femme se rapproche alors d’elle sans un regard, sans un geste.
metro,paris,
Ils se croisent ainsi sans un mot. Sans qu’aucun d’eux n’ait vu le visage, a fortiori le regard de l’autre