jeudi 28 juin 2007

L'angoisse

Pourquoi ai-je plongé dans ce lac de silence qui s’ouvrait devant moi ? Je savais pourtant qu’en le faisant les ronds dans l’eau allaient ébranler ma vie, la bouleverser de fond en comble. J’étais avec mon beau-frère lorsqu’il a tué ma sœur. Je n’avais rien vu venir. Je n’ai rien pu empêcher. C’était une telle chieuse qu’il aurait eu les circonstances atténuantes, il aurait plaidé la jalousie, le mouvement passionnel…

Mais moi. Son frère ….

C’est sûr je vais en prendre le maximum.

C’est le juge qui m’a piégé quand il m’a demandé qui avait tué ma sœur et qu’il s’est tu. Cet interminable silence, je ne l’ai pas supporté. Alors, pour l’arrêter, je me suis dénoncé. C’est horrible. Je n’étais pas fou. Je savais ce que je faisais. Simplement pour arrêter ce silence que j’avais là, fiché en plein cœur.

Quand j’étais petit c’était déjà comme ça. Je préférais me dénoncer que de laisser s’installer le silence soupçonneux de la maîtresse. Les autres me considéraient comme la poire parfaite. J’étais puni à tour de bras à leur place. Bien sûr, leur mépris me blessait.

Après avoir parlé j’ai été soulagé. Le juge a semblé très surpris de mes aveux. Et puis il m’a pressé de questions. C’était facile pour moi de répondre. J’étais crédible, j’avais tout vu. Il me manquait simplement un motif. Ce motif, j’ai fini par l’inventer. Toujours le coup du silence du juge. J’ai dit que j’en voulais à ma sœur depuis l’enfance. Un truc débile qui braquera les jurés contre moi. Mais maintenant au moins je sais que je suis foutu, et au fond ça me soulage. Je ne peux plus reculer. Bientôt non plus je ne pourrai plus avancer.

J’espère qu’en prison je serai moins angoissé.



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lundi 25 juin 2007

Le prêcheur

Cela faisait douze jours que les voiles du Au milieu de nulle part pendaient sans vie, abandonnées des alizés. Cela faisait dix jours que le capitaine était mort de la fièvre qui le minait depuis les côtes d’Afrique et commençait à gagner l’équipage. Cela faisait sept jours que l’équipage, maître queux en tête, avait tué le second puis violé et jeté par-dessus bord la jeune femme du capitaine dont plus personne ne supportait plus les cris déments. Cela faisait six jours que les hommes, tous les hommes, maître queux en tête, étaient descendus dans les caves violer les négresses et tuer les nègres au hasard à coups de rames. Ils avaient commis tous ces crimes à jeun. Après seulement ils avaient bu, comme s’ils avaient la soif de l’enfer. Tous, sauf le maître queux, un ancien capucin défroqué. Lui était resté sombre à errer sur le pont une journée entière.

Cela faisait cinq jours que le maître queux, vêtu de la redingote du capitaine, avait commencé à haranguer les hommes au pied du grand mât. Il les avait harangués pendant trois jours sans discontinuer. Il leur avait dit que la panne d’alizés, la fièvre du capitaine, le viol de sa femme et des négresses, les cervelles éclatées des hommes, que tous ces crimes auxquels lui-même, un homme d’église avait participé, que tout cela n’était que l’annonce des malheurs de la fin des temps, qu’ils allaient tous être effroyablement punis, que la foudre du ciel s’abattrait sur eux. Les hommes, qui avaient désormais fait tout le mal dont ils étaient capables, qui étaient imbibé du rhum frelaté réservé à l’équipage, après avoir bu le rhum choisi des officiers, se mirent à l’écouter. Il fallait jeter à la mer tous les nègres, morts ou vivants, il ne fallait surtout pas épargner les négresses tentatrices. C’était les femmes impies qui empêchaient le vent de souffler, qui avaient fait lever la fièvre. Une joie féroce poussa les hommes à défoncer les bastingages pour envoyer plus vite à la mer le mélange de cadavres et de vivants enchaînés. Certains matelots furent jetés à la mer avec la négresse qu’ils prétendaient sauver.

Cela faisait deux jours que ce travail macabre s’était achevé. Ils erraient sur le pont, désœuvrés, le rhum allait bientôt manquer. Les voiles restaient flasques, la fièvre continuait à gagner. Une rumeur mauvaise se mit à parcourir l’équipage. Le maître queux avait gardé une négresse auprès de lui. Ils se rassemblèrent tous, les plus malades se traînaient sur leurs mains. Une foule haineuse et morne entoura le grand mât. Le maître queux s’adossa au pied du grand mât. Une dernière fois il les harangua, une dernière fois il les convainquit. Ils défoncèrent les portes de la soute à munition, recouvrirent le pont de poudre. Du haut du grand mât le maître queux vit le Au milieu de nulle part s’enflammer comme une étoupe et les hommes pousser des hurlements de douleur. Il entonna de sa voix de stentor des psaumes en latin jusqu’à ce qu’à son tour il sombre dans les flots qu’un léger alizé commençait à caresser.


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vendredi 22 juin 2007

Barbe à papa

Enfant lyonnais, ma grand-mère m’emmenait tous les samedis après-midi au Parc de la Tête d’Or, un nom qui me faisait rêver. Petite femme voûtée, elle tenait d’une main son cabas noir rempli des croûtons de pain qu’avaient descendus à sa loge durant la semaine tous les habitants de l’immeuble, de l’autre elle me donnait la main à moi, petit bonhomme sautillant du bonheur de cette sortie. Le pain c’était pour nourrir les daims, les miettes iraient aux cygnes et aux canards.

Quand la distribution était finie nous flânions dans les allées comme deux amoureux, la grand-mère et son petit-fils. Il y avait des stands où se vendaient des cacahouètes et de la barbe à papa. J’étais captivé par la fabrication de la barbe à papa. Jamais ma grand-mère ne m’en achetait mais je m’approchais autant que je pouvais du bol de métal. Je n’arrivais pas à comprendre comment, tout à coup, apparaissait cette ouate rose venue de nulle part ; au tout début rien, puis un fil à peine visible qui rapidement se transformait en quelque chose qui flottait dans l’air comme un nuage puis s’enroulait autour du bâton de bois que tendait la vendeuse. Plus je regardais et plus j’étais fasciné. C’était exactement l’histoire de la création à partir du néant de mon catéchisme.

En m’endormant le samedi soir, après avoir mangé la rituelle soupe aux pâtes en forme de lettres de l’alphabet et la tranche de jambon blanc, je revoyais la délicate couleur gris-rosé des mufles humides des daims tendus vers le pain que je leur faisais passer à travers le grillage et aussi les batailles des canards et des cygnes pour attraper les morceaux qui flottaient sur l’eau verdâtre. Mais surtout je songeais aux mystères de la barbe à papa. Je n’avais même aucun regret de n’y avoir jamais goûté. Ma grand-mère m’avait dit que ça n’avait que le goût de sucre, j’ai compris plus tard que ses moyens ne lui permettaient pas de m’en offrir. Ce qui m’intéressait vraiment c’était de penser à cet insaisissable moment où quelque chose surgit pour la première fois, ce qui m’intéressait vraiment c’était de penser au moment de mon apparition. Je savais qu’il ne s’agissait pas de celui de ma naissance, car j’avais existé auparavant dans le ventre de ma mère. Pour ce qui avait précédé, pour le moment fondateur de mon existence, je ne savais rien. Je ne pouvais me figurer comment j’avais pu surgir de nulle part, comme le nuage rose.

J’ai mangé pour la première fois de la barbe à papa un samedi après-midi, le jour de l’enterrement de ma grand-mère. J’avais fait une thèse en physique des matériaux. Je savais tout de la fabrication de la barbe à papa et j’avais été la fierté de ma grand-mère. En mangeant la barbe à papa j’ai été déçu par le goût et la sensation de vide.. Et tout d’un coup j’ai réalisé que je ne la reverrais plus.



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samedi 16 juin 2007

Confession

Je n’arrive pas à savoir ce qui a pu me pousser à tuer cette femme que j’avais depuis si longtemps pris l’habitude d’aimer, que j’aimais en quelque sorte, du moins que je croyais aimer, avec qui en tout cas j’avais vécu les apparences de l’amour, aux yeux du monde bien sûr, mais cela ne prouve rien car, comme chacun sait, le monde est bien bête, mais surtout à mes propres yeux, ce qui est, reconnaissez-le, pour une fois ne vous enfermez pas dans votre habituelle et commode propension de lecteur blasé à nier l’évidence lorsque quelqu’un, moi en l’occurrence vous apporte du réel, du sérieux, du saignant oserai-je dire, consentez, s’il vous plaît, à reconnaître que cette erreur que j’ai commise en toute bonne foi pendant tant d’années sur la nature de notre relation, cette illusion entretenue en dépit de moi-même sur mes sentiments vis-à-vis de celle qui en ce moment, la tête proprement coupée sous son bras droit, est à n’en pas douter en train de refroidir doucement pour atteindre la température de la pièce avant que le travail de fermentation, de putréfaction ne commence à la réchauffer comme un tas de fumier sur lequel la neige ne tient pas en hiver, cette erreur d’appréciation donc a quelque chose d’étonnant, et cela d’autant plus que je ne suis pas du genre primesautier, du genre qui s ‘emballe pour un rien, un emballement de cinquante quatre ans serait du reste, admettez le sans barguigner selon votre déplorable habitude, lecteur décidément bien peu sympathique, un emballement d’une durée si inhabituelle qu’il serait difficile de le qualifier encore d’emballement, et pourtant il n’y a eu aucun signe avant-coureur de cette bien étrange et subite fureur qui m’a fait, à quatre-vingt six ans, décapiter mon épouse avec la feuille, le grand couteau de boucher, que mes collègues m’avaient offerte pour mon départ en retraite, et de fait jusqu’à ce moment de vérité j’avais cru avoir passé auprès d’elle cinquante quatre ans d’un bonheur sans nuage, sans compter les trois longues années de nos fiançailles que mon beau-père avait imposées comme délai à notre désir de partager la plus complète intimité, le vieux grigou ayant argué de mon manque de situation professionnelle stable et m’ayant donné comme échéance le jour où j’aurai travaillé depuis deux ans chez le même employeur, ce qui entraîna ma reconversion, au départ difficultueuse, de joueur de scie musicale dans les arrière-cours d’immeubles à la position à peine avouable aux yeux de mon beau-père, snob et aristocratique agent de change, de préposé aux écritures comptables à la sous-direction de la comptabilité aviaire des abattoirs de Saint Ménéla-les-Deux-Clous, avec comme perspective de passer, au bout de quelques années de travail acharné à un emploi équivalent dans la plus distinguée sous-direction de la comptabilité bovine du même abattoir et l’espoir de terminer ma carrière comme employé aux écritures de la très huppée sous-direction de la comptabilité équine de ce même abattoir, c’est du moins ce que mon beau-père faisait valoir, en fumant le cigare, à ses amis notaires et banquiers le jour de notre mariage mais, malheureusement, ce plan de carrière fut perturbé par une réorganisation qui créa une sous-direction de la comptabililté unique pour toutes les sortes de clients involontaires des abattoirs et je me retrouvais du jour au lendemain sans le moindre poulet à compter ce qui, pour occuper mes journées oisives, me conduisit à préparer le concours de l’Ecole Nationale d’Administration dont je sortis, grâce à ma maîtrise des complexes questions comptables liées à l’abattage des poulets, dans les tous premiers, et me permit d’intégrer la Cour des Comptes où je me spécialisais dans le contrôle des abattoirs, reconnu comme le spécialiste incontesté de cette activité je refusais plusieurs propositions flatteuses de travailler dans des cabinets ministériels, voire même une fois, sur piston de mon beau-père, de devenir Secrétaire d’état, mais j’avais trouvé un sens à ma vie et rien jamais ne pourrait m’en distraire, ce que ma femme comprit parfaitement car elle disait elle-même bien souvent qu’il ne fallait pas me couper de mes bases, cette remarque pleine de sagesse de sa part montre à quelle point elle m’était attachée et combien elle était intelligente, aussi, toutes ces réflexions faites, lecteur charognard qui m’avez lu jusqu’au bout, je comprends maintenant que ce n’est pas par un brusque mouvement de détestation d’une épouse admirable et adulée mais dans un mouvement de retour plein de retour à l’unique passion de ma vie que je l’ai dépecée et je suis certain que cette lucide confession me vaudra votre indulgence et celle du juge..


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vendredi 15 juin 2007

De l'eau a coulé sous les ponts...

De l'eau a coulé sous les ponts depuis que je t'ai demandée pour la première fois en mariage. Tu avais vingt deux ans et tu resplendissais de l'éclat de la jeunesse. Tes yeux myosotis étaient embués et tu m'as dit que tu ne pouvais pas parce que ta mère était malade et que tu devais t'occuper d'elle. Il n'y avait rien à opposer à ta douceur tranquille.

J'ai quitté le pays. J'ai beaucoup bourlingué, connu beaucoup de femmes, gagné beaucoup d'argent. Je me suis même marié, trois fois. Mais toujours, au moment de dire oui, j'avais tes yeux myosotis au fond du cœur comme une question plutôt qu'un reproche. Ces yeux myosotis là ne savent pas faire de reproches.

Je suis revenu au pays quand tu avais quarante ans. Tu t'occupais des jeunes enfants de ton frère veuf. En te voyant, maternelle, j'ai eu un pincement au cœur. Avec aucune femme je n'avais voulu avoir d'enfants. Tu m'as accueilli comme je n'avais jamais été accueilli. Tu avais gardé tes yeux myosotis, ton corps de femme s'était affermi. Son éclat était presque intact. Il y avait cependant quelque chose de voilé, quelque chose que j'ai désiré illuminer. Tu n'as pas été choquée de ma vie de baroudeur. Tu m'as parlé de la tienne, simple comme le pain. Tu m'as dit pudiquement ton regret de ne pas avoir connu d'homme, l'éclat voilé de ton corps. Mais tu n'as pas voulu me confier les clés de ton corps; pas comme ça, m'as-tu dit. Tu n'as pas voulu partir avec moi à cause de tes neveux et je n'ai pas voulu abandonner mes affaires, ma vie d'aventure.

Les yeux myosotis, je les ai revus il y a quelques jours lorsque tu fait appeler du bout du monde. Ils avaient absorbé le visage ravagé par la maladie et le corps enseveli sous les draps de l'hôpital. Nos yeux se sont enfin dit oui. Le baroudeur au cœur marqué de cicatrices s'est enfin arrêté dans la rade myosotis.

Maintenant je suis noyé dans mes larmes en écoutant à l'église tes petits neveux et des gamins du village dire ce que tu as été pour eux; ton écoute, ton indulgence pour leurs frasques, ta douceur. Je sais que tu as été tout ça en ne cessant de m'attendre.


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dimanche 10 juin 2007

Le cœur net

- Excuse-moi, c’est une erreur ….

Quelle conne ! J’aurais jamais dû fermer précipitamment la porte comme ça en m’excusant. Elle, je l’ai parfaitement reconnue. Mais lui ? Je ne suis pas sûr que c’est lui. Mais j’ai bien l’impression que c’est lui.

Cette image, aperçue juste un instant, m’obsède. Elle, nue face à la porte. Ses seins, si mignons, à demi recouverts de ses mains, et par dessus celles d’un homme qui se tient debout derrière elle. Lui ? Putain, j’aurais dû tirer ça au clair avant de refermer la porte. Il est pas le seul à avoir les bras bronzés dans ce club de vacances.

Hier soir, en remontant de la plage il m’a dit : « Question conversation, cette fille, c’est pas ça. Mais question nichons, entre elle et toi y a pas photo ». Ah, le salaud, l’ordure !

J’aurais dû attendre devant la porte qu’ils sortent. C’était peut-être pas lui après tout. C’est pas les garçons qui manquent dans ce club de vacances.



Et s’il faisait comme si rien de s’était passé ? Comme si c’était pas lui ?



Putain, j’aurais dû rouvrir la porte pour en avoir le cœur net



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mercredi 6 juin 2007

Les macarons

- Maman, tu exagères.
- …
- Ne fais pas comme si tu ne savais pas ce dont je veux parler.
- …
- Maman, Nathalie est ma femme, que ça te plaise ou non.
- …
- Sapristi, tu m’écoutes ?
- …
- Tu n’as pas le monopole de la recette des macarons au chocolat.
- …
- Elle aussi a une mère, imagine. Elle aussi a des souvenirs d’enfance.
- …
- Tu es vraiment une tête de mule. Je te préviens, si tu ne viens pas au baptême à cause de cette histoire de recette de macarons, je ne suis plus ton fils !
- …
- Maman, maman, tu ne dis rien ?
- Bon je viendrai. Mais à une condition. A ta prochaine visite, ces macarons faits avec la recette de l’autre, à condition que tu m’en donnes.


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