mercredi 31 octobre 2007

Noces insolites

Ma grande cousine germaine s’appelle Germaine.

Je l’aime beaucoup Germaine. J’aime quand elle me tient sur ses genoux et qu’elle me souffle dans le cou pour me faire rire. J’aime reposer ma tête sur sa poitrine après avoir couru comme un fou dans le jardin des grands-parents. J’aime quand le soir juste avant de me coucher elle me lit une Histoire Insolite dans le grand livre de grand-père avant de me faire un baiser pour la nuit.

J’aime quand elle me passe la main dans les cheveux et m’appelant son petit fiancé. J’aime quand elle me sèche avec la grande serviette éponge à la sortie de mon bain et qu’elle dit en riant qu’elle voit bien que son petit fiancé l’aime beaucoup.

C’est vrai, je l’aime beaucoup ma cousine Germaine. Bien sûr quand je serai grand c’est maman que j’épouserai, mais j’aimerai aussi épouser Germaine.

Ce que je n’aime pas c’est que Germaine a dit hier au soir qu’elle allait bientôt se marier. Et pas avec moi. Avec Fernand. Fernand il est haut comme ça, et il a de grands pieds.

J’ai beaucoup pleuré. Pour me consoler Germaine m’a dit que je serai son garçon d’honneur, que j’aurai un beau costume bleu marine.

J’ai arrêté de pleurer. Juste pour faire plaisir à Germaine. Mais moi je sais bien que ça ne va pas marcher ces noces insolites où le marié est plus grand que ma Germaine.

lundi 29 octobre 2007

La salle de bain

- Qu’est-ce que tu penses de mon idée pour la salle de bain ?

Panique à bord. On vient de faire l’amour -c’était bien merci- et c’est le moment où je n’aspire qu’à me retrancher dans ma bulle ou bien à aller m’en griller une en-dehors de la chambre. A cause du bébé que je finirai bien par désirer avoir, comme le dit chaque fois que je lui en donne l’occasion madame, l’air revendicatif. Comme si c’était de ma faute si je n’avais pas envie de la partager avec un chiard, si j’avais envie de rester son seul bébé.

Je n’ai pas le moindre souvenir d’une quelconque conversation sur la salle de bain. J’en mettrais à couper mes précieuses boules qui viennent une fois encore de démontrer leur délicieuse utilité – mais non, je rigole ! Et pourtant il n’y a pas de quoi. La situation est délicate. Tous les journaux féminins sont formels. Après l’amour madame a besoin d’écoute et de tendresse pour se rassurer sur le fait que ce qui vient de se passer n’était pas pour monsieur seulement la satisfaction d’un besoin glandulaire. Comme si nous pouvions être comme ça, nous les hommes. Enfin passons !

Si je lui dis que son histoire de salle de bain je m’en tape ou, pis encore, que je n’en ai pas la moindre idée je crains d’avoir droit à l’interprétation purement hormonale de mon comportement amoureux. Et le pire c’est qu’elle me sera envoyée dans la figure la prochaine fois que … - enfin, vous voyez ce que je veux dire. Il vaudrait mieux que je passe carrément à l’attaque. Façon médicale : tu devrais aller consulter le médecin pour Alzheimer. Si, si, à trente cinq ans c’est rare mais il paraît que ça existe. Oui mais, si ça marche on est parti pour un week-end stressé. Pas très bon tout ça pour la gaudriole.

L’autre méthode serait de la jouer jaloux : tu ne m’en as jamais parlé. Tu as dû confondre. C’est à un autre que tu as dû en parler. Je le savais bien que tu as un amant ! Evidemment la salle de bain sera vite oubliée mais à trop m’avancer sur ce terrain je risque de me mettre en danger. Sans compter la certitude d’un week-end soupe à la grimace. Non, je vais la jouer tendre et romantique pour détourner son attention.

Ma chérie, je suis si bien dans tes bras que je m’étais assoupi.

-Tu dors les yeux ouverts maintenant.

Tu sais c’était vraiment merveilleux tout à l’heure, nous deux. Tu ne peux pas savoir le bonheur que tu m’apportes. On va encore passer un superbe week-end en amoureux, rien que tous les deux. Oui, je sais, un jour on aura un bébé, mais pas tout de suite, alors justement, il faut en profiter un max …

- Et pour la salle de bain. Qu’est-ce que tu en dis ?

jeudi 25 octobre 2007

La soirée d'Halloween

Je les entends. Ils arrivent. J'ai déverrouillé la gâche électriques et ils vont venir jusqu'à mon appartement, au fond de la cour. Quand ils chanteront « des bonbons ou des sorts » je leur donnerai ces bonbons que j'ai acheté pour eux au supermarché ce matin. Ce sont de bons gosses, j'en suis sûr. C'est normale après tout, vieille comme je suis, qu'ils se moquent de moi. Ils ne me connaissent pas et c'est sûr qu'avec mon grand cabas je dois leur faire un peu peur. Et pourtant moi je les connais et je les aime les gosses. Trente années de carrière d'institutrice dans le Nord. J'en ai vu passer des mômes! De toutes sortes. Des timides et des effrontés, des faciles et des durs. Mais toujours cette lumière au fond de leurs yeux. Trente années de bonheur. Mademoiselle Pinson, institutrice modèle, comme a dit le directeur le jour de mon départ en retraite.

Après il a fallu soigner maman. Et maintenant j'arrive dans cette ville du Sud dont j'ai toujours rêvé. Alors c'est sûr que les enfants d'ici, ils ne me connaissent pas. Ils ne savent pas que je suis mademoiselle Pinson, la crème des institutrices à la retraite. Ce soir ils sauront et demain ils me diront bonjour et ils me souriront en me croisant dans la rue.

Ça y est. Les voilà. Ils sonnent et chantent « Des bonbons ou un sort ».

Ohé, les enfants, j'arrive.
Hiiii! La sorcière! La sorcière!
N'ayez pas peur! Ne partez pas! J'ai des bonbons! Ne par....

dimanche 21 octobre 2007

L'oeuvre

Mauvaise surprise, le quai du métro est noir de monde! Je ne vais pas pouvoir donner la chorégraphie silencieuse qui a surgi en moi quand j'ai enfin vu l'oeuvre de Charles exposée. Ce désir de jubilation de mon corps dans la danse qu'ont fait naître ces quatre bandes verticales, ces quatre oriflammes au graphisme épuré! Deux années de rage et de doute. Deux années où Charles m'a si souvent abjuré de ne pas gâcher ma jeunesse et ma beauté avec un artiste tari, incapable de se réinventer.

Le résultat est là, évident. Dans cette galerie réputée de l'avenue Matignon le galériste m'a dit que l'oeuvre, après ces années de silence, inaugurait une nouvelle période encore plus prometteuse que la première. Malgré l'urgence je n'ai pas osé danser ma joie. Dans la rue non plus je n'ai pas osé danser. J'ai couru au métro comme si ma vie en dépendait. Mais avec cette foule qui occupe tout l'espace le charme est rompu.






J'attendrai d'être avec Charles. Il se moquera gentiment mais il comprendra. Je lui offrirai mon bonheur pour l'aboutissement de ses années de travail et pour cette autre oeuvre de lui qui, je le sais depuis ce matin, bientôt alourdira mes flancs.

vendredi 19 octobre 2007

Le beau parleur

J'ai aimé vous séduire, foule fascinée que ma parole tour à tour savait apaiser ou mettre en ébullition. J'ai aimé me gaver de la force poignante qui émanait de vous, foule en fusion, de l'enivrante sensation de respirer les vapeurs alcooliques d'un grand bol de punch lorsque je touillais vos passions. J'ai aimé donner corps à vos peurs, à vos colères,j 'ai aimé susciter votre hypocrite indignation, vous désigner le bouc émissaire, exutoire de vos haines, foule impitoyable. J'ai aimé vous faire vous aimer vous-même, foule vivante. J'ai aimé vous faire communier à votre commune fureur, foule sauvage.

Je vous ai sculptée amoureusement comme un potier empoigne la glaise. Ma volonté à dressé votre lourde apathie. Mais ce n'est pas vous que j'ai aimée, foule imbécile, c'est la force dévastatrice que j'ai éveillée en vous que j'ai aimée. Vous étiez la pierre de ma fronde.

J'aime vous savoir chacun dans votre appartement, décervelé pour mieux consommer mon discours, pour manger plus de pizzas.

mardi 9 octobre 2007

Anniversaire

Elle m'a dit:

- J'aime le mouillé de vos yeux. Ça me fait penser à ceux d'un pékinois atteint de conjonctivite.
En revanche je trouve qu'ils sont un peu trop enfoncés, qu'ils manquent d'expression.

Elle m'a dit:

- J'aime bien votre bouche. Elle est peut-être peu lourde, un peu fade. Les lèvres gagneraient à être mieux dessinées, moins épaisses

Elle m'a dit:

- Déshabillez-vous.

Elle m'a dit:

- Votre sexe est charmant. On dirait un adolescent timide et mal embouché. Vous savez qu'il vous ressemble.

Elle m'a dit:

- Tiens, maintenant il a l'air en berne. Vous savez bien, comme un drapeau un jour de deuil national.

Elle m'a dit:

- Vous ne trouvez pas que vos testicules sont un peu grasses? Elles me font penser à des beignets aux pommes dégouttant d'huile. Pas vous?

Elle m'a dit:

- Tournez-vous.

Elle m'a dit:

- Votre dos ne fait pas très viril. Et vos fesses .... vos fesses, je trouve qu'elles manquent vraiment de personnalité. Enfin ça ira.

Elle m'a dit:

- La chambre de ma fille est au bout du couloir à gauche. Souvenez-vous: c'est une surprise pour son anniversaire.

dimanche 7 octobre 2007

L'agent immobilier

Mon dieu! C'est horrible cette peur de tomber dans ces escaliers qui plongent de la colline jusqu'aux quais. Ces volées de marches en pierre, elles ne finiront donc jamais. Heureusement qu'à mon âge j'ai encore les genoux solides. Mais je n'ai plus que les os sur la peau. J'ai beau me cramponner de la main droite à la rampe métallique et tenir fermement mon gros cabas de l'autre main, j'ai peur qu'un coup de vent ne m'emporte ou que je rate une marche. A presque quatre-vingts ans je suis sûre d'y passer, foi de Célestine.

Et puis surtout j'ai peur que l'autre, l'homme de l'agence, me pousse. C'est pas les clients qui doivent leur manquer pour cette maison à louer au bord de la rivière. Une petite vieille de plus ou de moins, qu'est-ce que ça peut lui faire? C'est vrai qu'il est inquiétant ce colosse avec son crâne rasé et son rire tonitruant. Il a un drôle d'accent, il doit être russe, et je n'ai pas du tout aimé comme il m'a appelé la petite grand-mère, comme on dit chez nous. Je ne lui ai rien demandé, moi. Pourquoi a-t-il insisté pour que je passe devant lui dans l'escalier si ce n'est pas un mafieux russe qui a envie de se faire la main sur moi. Histoire de prouver à son chef qu'il ne recule devant rien.

Allons Célestine, ne te monte pas la tête comme ça. Tu devrais avoir honte. Peut-être aussi qu'il a encore plus le vertige que toi ce jeune-homme. Et peut-être qu'après tout ça va bien se terminer, comme au cinéma: « Il lui donna solennellement les clés de la maison ».

jeudi 4 octobre 2007

L'ombre de l'éléphant

Note de service de: Direction de la qualité
à: vendeurs du rayon maroquinerie

Objet: retrait de la vente

Un accident récent nous conduit à retirer de la vente les bourses en peau d'autruche. En effet la semaine dernière une de nos clientes parmi les plus respectables, la marquise douairière de Monvieucomplice (le nom a été changé pour préserver l'anonymat) s'est fait mordre au sang par une de ces bourses en peau d'autruche alors qu'elle y mettait la main pour prendre un billet de cinq cent euros. L'accessoire raffiné s'est ensuite retourné contre un jeune homme qui se trouvait par hasard dans la même pièce. La bourse en peau d'autruche lui a sectionné les organes sexuels puis les a recrachés avec mépris bien qu'ils aient été de belle taille au dire de notre cliente.

Après analyse dans nos laboratoires il apparaît que ce n'est pas le mécanisme de fermeture métallique de la bourse qui est en cause, celui-ci ne contenant pas de ressort, mais bien la peau d'autruche elle-même. Une enquête plus poussée a révélé que l'agression s'est déclenchée lorsque le jeune homme s'est vanté d'avoir chassé des autruches au Zimbwabe.

Cet accident n'est pas sans rappeler celui qui avait assombri il y a six mois notre magasin du quartier de La Madeleine lorsque un bracelet en poils d'éléphant et platine avait sectionné le poignet de la ravissante nièce d'un de nos autres vieux clients, le général **. L'accident s'était produit lorsque la jeune fille s'était vantée à son oncle ,qui l'embrassait dans le cou en contemplant le luxueux bracelet à son bras, d'avoir mangé récemment de l'éléphant de contrebande en ragoût.

Fidèles à notre constante politique de qualité et de manière à écarter tout risque de mutilation de celles et ceux qui croisent nos clients nous avons décidé, comme ce fut le cas pour les bracelets en platine et poils d'éléphants, de retirer immédiatement de la vente les bourses en peau d'autruche.

Dès réception de la présente vous devez retirer cet article des rayons et renvoyer au magasin central les exemplaires dont vous disposez.

Signé: illisible