samedi 16 octobre 2010

San Jose

San Jose, putain de trou! ... Soixante neuf jours ... il paraît ... je voulais mourir ... avant l'éboulement je voulais mourir ... en descendant je voulais mourir ... j'aurais dû mourir ... Manuel, les copains ont pas voulu que je meure ... à cause de Paquita je voulais mourir ... Manuel m'a dit que je n'avais pas le droit ... il fallait tous tenir ... tous ou personne ... dans le noir penser à Paquita ... on s'est engueulé ... elle m'a prévenu qu'elle partira ... pendant que je descendrai dans le puits ... elle a dit qu'à la fin de mon poste elle sera plus là ... elle avait trop peur pour moi ... elle en avait marre que je parle pas ... elle comprenait pas qu'à la fin du travail j'étais trop fatigué ... j'avais rien à dire ... toute la journée dans le noir ... soixante neuf jours il paraît ... à penser à Paquita ... qui sera plus là ... les autres parlaient de leurs femmes ... de leurs enfants ... à la fin je pensais plus rien ... juste Paquita Paquita Paquita qui roulait dans ma tête ... ça me berçait ... Paquita Paquita Paquita ... je voulais remonter le dernier ... Manuel a pas voulu ... c'est lui qui m'a poussé dans la benne ... ça fait combien de temps qu'elle monte ... j'ai peur de dehors ... ces lunettes noires pour pas se brûler les yeux ... Paquita? ... Paquita dis-moi si tu es là!

mercredi 29 septembre 2010

Les espadrilles

Elle était si belle notre histoire d’amour ! Presque incroyable. Ces longues journées et ces courtes nuits d’été passées dans cette cabane délavée par les intempéries, nous deux seuls au monde en haut de la falaise.

La profondeur de tes yeux couleurs d’océan, l’orient de ta peau, l’ardoise sur laquelle nous échangions nos pensées.

Moi, muré dans le silence de la surdité. Toi, prisonnière de la splendeur de ta propre voix si envoutante qu’elle empêchait les hommes de t’aimer pour ce que tu aurais tellement aimé être : une femme ordinaire, la femme ordinaire d’un homme ordinaire.

Pourquoi es-tu partie cette nuit dans mon sommeil sans même inscrire un adieu sur notre ardoise ?

Je veux laisser intacts sur notre ardoise les derniers mots que tu m’as écrits : bonne nuit. Alors c’est sur une page arrachée à mon carnet de croquis que je t’adresse ce message, bouteille à la mer : reviens, je t’aime !

Ton Arthur

PS : Bon sang, pourquoi m’as-tu piqué mes espadrilles ? Où les as-tu mises ? Je vais avoir les pieds en sang à déposer ma bouteille par le chemin qui descend de la falaise. Comme si une sirène avait besoin d’espadrilles !

dimanche 19 septembre 2010

Dialogue de sourds

- ...
- (Il y a quelque chose qui me gêne. Ça m'énerve. Je ne retrouve pas quoi au juste)
- Vous comprenez si vous me supprimez mes heures supplémentaires ...
- (C'est trop rageant. C'est comme si je l'avais au bout de la langue)
- Je comptais sur elles. Vous comprenez ...
- (Il faut dire qu'il ne m'aide pas beaucoup celui-là à tout le temps répéter la même chose)
- Avec la gosse ma femme a arrêté de travailler. Vous comprenez ...
- (Je comprends surtout qu'il y a quelque chose qui m'échappe)
- A son âge on ne pensait plus avoir d'enfant ...
- (A mon âge ce n'est tout de même pas Alzheimer)
- Je ne vous dit pas tout ce qu'on avait tenté pour avoir un enfant ...
- (Surtout ne le dites pas! Ce que ça peut être énervant de chercher quelque chose dans sa tête comme ça!)
- Pendant des années. Et puis on avait fini par ne plus y croire ...
- (Moi non plus je finis par ne plus y croire. Mais bon sang, à quoi je suis sensé penser!)
- On avait acheté une petite maison. On travaillait tous les deux.
- (Peut-être qu'en arrêtant de chercher ça va revenir)
- On avait tout calculé pour les remboursements.
- (Mon pauvre ami. Au moins tu sais ce qui ne va pas pour toi)
- Alors si en plus je perds mes heures supplémentaire ...
- (Et moi je perds ce que j'avais à faire. Tais-toi une minute, bon sang, que je puisse réfléchir!)
- On va être obligé de vendre la maison.
- (Toi, mon bonhomme tu sais que tu m'ennuies avec ton histoire)
- Vous voyez, sans ces heures supplémentaires on ne peut pas s'en sortir.
- (Mais tais-toi donc! Je te dis que j'ai quelque chose qui me trotte dans la tête ...)
- Vraiment je compte sur vous.
- Je vais voir si je peux faire quelque chose mais je ne vous promets rien. (C'est tout vu, c'est non! Maintenant ouste!)
- Merci monsieur le directeur.
- Au revoir.
- Au revoir monsieur le directeur. Merci
- (J'ai trouvé! mon petit doigt. Le coupe-ongle. Il est là) Clic-clic. (C'est mieux comme ça. Quel raseur ce type!)

mercredi 1 septembre 2010

Retard

Si je ne rentrais pas dans ma robe de mariée ?

Plus que quinze jours, et cette tarte au citron meringué que je viens de manger … Toutes ces tartes au citron meringué que j’ai mangées depuis deux mois que la robe est finie.

Voyons … une fois par jour pendant deux mois … voyons … ça fait … non ! Mais c’est énorme … je dois me tromper, c’est trop !

Il faut que j’enlève les samedis et les dimanches. Comme je travaille pas je passe pas devant la boulangerie aux tartes au citron meringué.

Oui mais, à côté de ça les samedis j’ai mes leçons de conduite. Alors pour me déstresser je prends un éclair au chocolat chez le boulanger à côté de l’auto-école avant la leçon … et un éclair au chocolat pour me remonter le moral après la séance … il faut dire que la conduite … moi … enfin !

Et puis le dimanche maman fait de la tarte aux fraises. Vraiment elle exagère, maman, avec ses fraises congelées. Pas de saison, pas de répit.

Tout ça d’ailleurs c’est la faute de maman. Quelle idée d’avoir fait faire une robe fourreau avec un bustier si étroit que je peux presque pas respirer ? Pour mes seins au moins c’est pas les tartes au citron meringué qui les feront grossir.

… les tartes, non … mais j’aurais jamais dû dire oui à Marcel. Il paraît que l’effet sur les roploplos est presque immédiat … et ça va faire dix jours de retard !

dimanche 29 août 2010

La gagne

Fabien l'avait dit. Il avait même dû le répéter parce que tout le monde ne l'avait pas bien entendu. Et à la fin de ce séminaire, bon dieu, il fallait que tout le monde entende tout le monde. Parce qu'il fallait gonfler la motivation de tous. C'était le but, non?
Il fallait que le mot que chacun devait choisir pour résumer son état d'esprit nourrisse l'ego du chef. Putain, c'est tellement dur d'être le patron qu'il a bien droit aussi à quelques compensations d'amour propre!
Et qui soient la promesse de copieuses retombées financières parce que des vendeurs mo-ti-vés c'est l'assurance de résultats ex-plo-sés et de primes comme ça pour le nouveau chef!
Lui, il sait tout ça. Avant la fusion c'était lui qui était à sa place et recevait comme un encens les manifestations serviles de la niaque qu'il avait attisée chez ses vendeurs.
C'est drôle, ces vendeurs qu'il tenait par leur besoin de s'acheter toujours plus de choses pour assurer leur prestige auprès des femmes le plus souvent, il en était venu à les aimer.
Il les aimait comme des enfants auxquels il ne fallait jamais montrer la moindre faiblesse mais qui devinent que sous l'autorité bourrue de l'adulte se cache un cœur d'or. C'est du moins ce que l'adulte imagine pour se consoler de sa rudesse.
Depuis la fusion il avait été mis de côté, comme assistant du nouveau chef des vendeurs. Il savait qu'il devrait partir en préretraite et le chef l'avait annoncé en passant aux vendeurs il y avait à peine une heure.
Personne n'avait réagi, et lui non plus. Il devait à tout prix faire bonne figure. Il avait joué le jeu pendant ce séminaire, il fallait continuer. Il avait toujours joué le jeu.
C'était surprenant de voir les flatteries des vendeurs et comment le nouveau chef s'épanouissait de manière visible à les recevoir. Ils devaient s'en rendre compte et en jouer. Lui, avec son habitude de l'autorité, ne se serait jamais dévoilé si naïvement
Dans ce fatras d'idées faussement originales que les vendeurs ressortaient depuis quinze ans dans toutes les entreprises du pays pour donner à leurs chefs l'impression qu'ils étaient des lions des affaires les prises de paroles de Fabien tranchaient par leur qualité. Elles étaient écoutées.
Le père de Fabien était le seul ami qui lui restait de son enfance. Fabien était le seul vendeur qu'il ait embauché par protection. Il sortait à l'époque d'une longue dépression. Il l'avait pris sous sa protection au début et l'avait formé comme son fils.
Fabien était un excellent vendeur et aurait pu prétendre lui succéder le moment venu s'il n'y avait pas eu la fusion.
Quand l'animateur du séminaire – jamais lui n'avait eu besoin d'un animateur pour un séminaire- avait demandé à chacun de réfléchir deux minutes à un mot il aurait aimé lancer le sien le premier.
Pour frapper les esprits, délivrer un message d'adieu, montrer surtout qu'il faisait bonne figure. Après tout, vingt cinq ans de carrière ce n'est pas rien et peut-être que les vendeurs éprouvaient au fond d'eux de l'estime pour luiu.
Il avait trop hésité entre sérénité, son idée initiale, et zen qu'il avait finalement retenu. Il s'était fait damer le pion par deux ou trois vendeurs mais s'il n'était pas le premier ça n'avait plus d'importance. Il était simplement pressé de se débarrasser de son mot.
Personne ne lui avait demandé de répéter le mot zen. Il avait dû parler distinctement.
Fabien avait parlé juste après lui. Il avait dit « La gagne ».
C'était bien trouvé pour plaire au nouveau chef.

dimanche 25 juillet 2010

Maternité

Je guette tes petits gémissements dans ton sommeil de l'autre côté de la cloison. La maison est silencieuse. La femme que j'aime repose près de moi. Je crois que ce n'est pas toi qui m'as réveillé juste avant l'aurore. Plutôt le calme de l'air. Le vent avait soudain cessé de laver la façade. Les tourterelles ne chantaient pas encore. Je n'avais rien de mieux à faire que de guetter la naissance du jour au travers des volets entrouverts. Et d'imaginer ton réveil que m'avait décrit ta maman.. Tes cris de joie. Comme les cris d'un aigle.
Je pense à elle qui t'a laissée, précieux cadeau. Elle doit dormir auprès de ton papa. Hier soir elle a téléphoné pour avoir de tes nouvelles et te souhaiter ton « moisiversaire ». Sept mois que tu sortais d'elle. Avant ta naissance j'étais friand qu'elle me parle de toi, de tes mouvements dans son ventre. Elle me racontait comment ton papa et elle se préparaient à ta venue. Les exercices qu'il fallait faire pour communiquer avec le bébé en train de se fabriquer. La chanson qu'avait inventée pour toi ton papa et qui, paraît-il, te faisait danser dans le ventre de ta maman. Je m'émerveillais de voir ce jeune-homme insouciant devenir père, avant même que tu naisses, par la grâce de son amour pour ta maman. Je me revoyais à son âge, mal équarri, maladroit, masculin en somme mais prêt à ouvrir mon cœur et à me laisser façonner par la femme de mon amour. Je lui prêtais la connaissance du mystère de la vie. C'était maintenant au tour de tes parents d'inventer leur manière d'être deux et de t'attendre comme nous avions attendu la naissance de ta maman.
Je ne me lassais pas de contempler ce que tes parents vivaient. Je m'émerveillais de ce que, comme eux, j'avais vécu à la même époque, sans toujours bien le réaliser.
Tu es née juste avant Noël et ton papa a passé la longue nuit du don de Dieu à l'étroit dans le lit de la maternité avec ta maman, et toi à côté, minuscule, immobile dans ton berceau. Nous l'avions attendu pour le réveillon. Quand nous avons su qu'il ne viendrait pas nous vous avons imaginés tous les trois, une famille désormais.
Nous t'avons découverte le surlendemain, sortant de l'hôpital. C'est ta maman qui nous a présentés. Elle te connaissait bien déjà. Elle pouvait nous parler de toi, nous faire pénétrer dans ton mystère. J'étais avide de ses paroles. Tu m'intimidais beaucoup, tu sais, et j'étais heureux que ma fille m'aide à te rencontrer. J'étais fasciné par ta manière de dormir sur le dos, tes deux poings fermés de part et d'autre de ta tête. Je te sentais tellement sereine, tellement forte pour grandir. Je ne me lassais pas de voir tes parents côte à côte. De les voir te prendre dans leurs bras et se retirer tous les deux avec toi dans une chambre close pour que tu puisses prendre le sein à l'abri des regards.
Pendant la semaine souvent j'allais te voir. J'aimais quand ta maman venait m'ouvrir la porte en te tenant dans ses bras. Au bout de quelques mois ton visage s'est illuminé d'un sourire quand tu me voyais arriver. Plus encore que ton sourire j'aime voir avec quelle tendresse ta maman te parle, comment elle construit jour après jour une relation unique avec toi. Elle t'invente de nouveaux jeux au fur et à mesure de ton éveil. Je sors de ces visites le cœur empli d'émerveillement pour ce lien d'intelligence et de tendresse qu'elle tisse avec toi. J'aime sa manière, qui n'appartient qu'à elle, de te parler, de te manifester son amour. Elle me raconte tout ce que ton papa et elle imaginent pour toi, les petits déjeuners en famille, toi assise sur ta chaise haute au niveau de tes parents, si fière de participer à leur vie. Ce moment est un viatique pour la longue journée de ton papa. Il emporte avec lui tes sourires et tes gestes tout à la fois maladroits et gracieux.
En pensant à tout cela j'ai dû m'endormir car le jour est bien levé et voici que commencent tes petits cris joyeux d'aigle qui saluent le début de ta journée. Tout à l'heure je raconterai ton réveil à ta maman quand elle appellera.