mardi 27 mars 2007

Le poisson était sur le dos

À B.M.H, ma muse


Je me souviens, j'avais six ans.

Papa était un homme modeste et doux. Il était ouvrier municipal; monsieur le maire préférait dire employé municipal, mais pour papa c'était ouvrier, comme Pépé qui avait travaillé toute sa vie à la cartonnerie et était mort avant le mariage de papa. Les lundi et jeudi matins papa lançait les sacs poubelles dans le camion à benne de la mairie dans le village.

Papa nous élevait seul, ma soeur et moi, depuis que maman était partie. Çà nous avait fait mal, beaucoup de mal, à Solange et à moi, Solange c'est ma soeur, quand maman était parti. Mais papa, il nous avait dit de pas nous mettre en colère comme ça. C'était pas de notre faute si maman, elle était partie. C'était pas non plus qu'elle nous aimait pas, au contraire. Mais maman, elle était trop jeune et trop belle pour papa. Et papa, il gagnait pas assez d'argent.

La seule passion de papa c'était ses combattants mâles, des poissons aux superbes couleurs et aux grandioses nageoires qu'il gardait dans des petits bocaux séparés pour pas qu'ils se battent. Le préféré c'était Diégo. Il était noir violet. Un samedi soir en rentrant de promenade je m'approche de son bocal. Je vois que le poisson était sur le dos.

J'appelle papa en hurlant. Il arrive en courant et me dit de me calmer, que ce n'est pas grave. Doucement, il souffle sur le ventre de Diégo. Le poisson agite alors ses grandes nageoires et commence à avancer. Je crie: « Papa, papa, regarde. Diégo il fait du dos crawlé ». J'avais vu ça à la télé.  « On pourrait le montrer en spectacle à Las Vegas. Comme ça tu gagnerais beaucoup d'argent et maman, elle pourrait revenir ».

Alors papa m'a serré très fort contre lui. A l'époque je n'ai pas compris pourquoi. En levant le regard vers lui je n'ai pas non plus compris pourquoi ses yeux brillaient comme s'il avait des larmes. Comme si un papa, ça pouvait pleurer.

Le lendemain matin le bocal de Diégo avait disparu




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samedi 24 mars 2007

Premières fois

Je me souviens de la première fois où j’ai pris une cuite. Enfin, je m’en souviens à peu près. C’était en classe de seconde, au cours d’un échange culturel franco-allemand aux environs de Francfort. En fait d’échange je devais être le seul français, du moins dans mon souvenir. A moins que je confonde. En tout cas ma correspondante allemande m’avait emmené à cette soirée de fin d’année scolaire dans une luxueuse villa, puis elle m’avait laissé tomber, absorbée par ses amis. Bien sûr, en-dehors d’elle, je ne connaissais personne. Je baragouinais l’allemand et les conversations étaient seulement possibles en anglais. Quand je m’approchais d’un groupe rigolard ils commençaient au mieux à me parler en anglais, puis, sans y prendre garde, ils repassaient à l’allemand. Certains ne faisaient même pas cet effort minimal et je m’éloignais d’eux rapidement. Pour les autres c’était plus difficile. Ils avaient fait le geste de m’accueillir et je n’avais pas trop envie de montrer ma totale incompréhension, ma mauvaise humeur et mon ennui. N’étais-je pas également là pour apprendre l’allemand ?

Pour donner le change, je riais par mimétisme en même temps qu’eux. Mais, au bout d’un certain temps de ce manège destiné à me rendre invisible, j’avais l’impression qu’ils se moquaient de moi à mots couverts et qu’ils me forçaient à rire de moi-même. J’étais malheureux à en crever. Alors, afin de me donner une contenance, de pouvoir sortir du groupe de manière naturelle, j’allais régulièrement puiser avec un gobelet de plastique blanc dans un grand saladier transparent rempli d’un liquide jaune à la surface duquel flottaient des tranches de bananes, de citrons, d’oranges. Au début ce liquide me parut trop fort, malgré le sucre. J’avais du mal à avaler sans faire la grimace. Mais au troisième verre les préventions de mon palais, de ma langue et de ma gorge étaient tombées. Je continuais à aller de groupe en groupe, incapable désormais de prononcer le moindre mot.

Ce que fut la nuit, nous dormions sur place sur des lits de camp au grenier, je ne saurais le dire au juste. Je me souviens cependant nettement que j’aurais préféré que ce fût la fin du monde.


Je me souviens de la première fois où j’ai monté à cheval. Il s’appelait Otto.

J’étais en vacances avec mes parents chez un couple de leurs amis qui avaient une maison de famille à La Louvesc, dans une région boisée et vallonnée, célèbre à l’époque pour son pèlerinage du quinze août. Rien à voir avec les chevaux. Le mari était un grand cavalier. Durant les vacances il montait matin et après-midi. Dès le premier jour il avait été question que je fasse des promenades à cheval dans la forêt. J’avais neuf ans. Ce serait une très bonne initiation pour les cours en manège que je pourrais prendre durant l’année scolaire.

Cela faisait une semaine que nous étions arrivés. Une semaine que j’attendais. Mon impatience et mon désir étaient tels que je craignais de m’évanouir de plaisir lorsque l’évènement se réaliserait. Je n’osais plus en parler, à peine y penser. Aujourd’hui à table, au repas de midi, il a été annoncé que cet après-midi je ferai ma première promenade en groupe. Le départ aura lieu à quatre heures. Je pose des questions sur la manière dont ça va se passer. Est-ce que je galoperai la première fois ? L’ami de mes parents me dit qu’il n’en sait rien au juste. Les cavaliers confirmés vont en tête avec les chevaux les plus difficiles. Ils ne savent pas ce qui se passe derrière, mais ce n’est pas impossible. Je verrai bien. Il faudra que j’emmène des morceaux de sucre dans mes poches pour récompenser mon cheval après la promenade. Je sais déjà comment présenter le sucre à plat pour ne pas risquer de se faire happer les doigts. Il faudra que je me comporte bien pour lui faire honneur, car il m’a recommandé au maître de manège. Je bois ses paroles.

Mes parents m’accompagnent. Je marche à côté de leur ami qui est vêtu d’une veste de chasse, d’une culotte et de bottes de cheval. Je suis fier comme Artaban. Il me présente au maître de manège un ancien jockey, petit homme aux jambes arquées, les cheveux jaunes filasse. Il me tend sa main rugueuse. Je suis un homme. On va m’apporter un cheval tout sellé. La prochaine fois il faudra que je vienne plus tôt pour l’harnacher moi-même. Mes parents, qui ne monteront jamais à cheval, restent en retrait.

Je ne veux pas tricher sur la suite. Je ne me souviens de rien d’autre que de la sensation d’avoir les jambes écartelées sur le dos de mon Otto. Je me suis mis dans la file qui démarrait, m’efforçant de tenir les rênes comme on me l’avait montré. Je n’osais pas lâcher une main pour faire un signe d’adieu à mes parents.








Je me souviens de ma première nuit sous la tente. J’avais huit ans. Camper représentait pour moi l’essence de l’aventure. Pour noël dernier mes parents m’avaient offert le Livre des louveteaux de Baden Powell. Je le connaissais par cœur. Ces histoires de Livre de la jungle, d’éclaireurs durant la guerre des Boers, n’avaient pas fini de me faire rêver. J’avais aussi lu Robinson Crusoé dans une version pour enfants et dormir sous la tente était vivre sa vie sauvage.

C’était mon premier week-end de louveteau. Notre tente de six était plantée dans un pré humide. Nous étions en automne et le soir la brume monta de l’herbe. Je commençais à appréhender le froid. J’avais hâte de m’ensevelir dans mon duvet, je me demandais si j’allais vraiment dormir. Le garçon à peine plus âgé que moi qui était responsable de mon équipe, le sizenier, m’avait attribué ma place dans la tente. Au milieu. Je serais ainsi protégé du froid, et de possibles agresseurs, par mes camarades qui dormiraient de part et d’autre de moi. Ce n’est pas ce qu’il m’avait dit mais ce que j’avais pensé. Il m’avait expliqué qu’en cas de pluie il ne fallait surtout pas, en se tenant assis ou en se relevant,faire se toucher le toit de la tente et le double-toit pour ne pas créer de gouttière. De manière générale il fallait éviter de toucher les parois de la tente. Le contraire de la solidité des murs de ma chambre.

Après avoir, comme les autres, pissé sous les étoiles, ce qui était déjà en soi un plaisir d’aventurier, je rentrais à quatre pattes dans la tente. Nos duvets étaient déroulés, alignés. Il fallait, dans les faisceaux capricieux des lampes de poches qui s’agitaient en tous sens, se déshabiller pour la nuit, mettre ses vêtements du jour en boule comme oreiller, et dormir. On se déshabillait dans les duvets. J’eus le délicieux frisson de la transgression en gardant mon slip sous mon pyjama et mes chaussettes aux pieds. Les lampes étaient désormais éteintes. Je sentais à travers le tapis de sol et mon duvet les irrégularités de la prairie. J’évitais un petit caillou. J’essayais de me mettre en boule sans déranger mon voisin pour économiser ma chaleur, et j’attendais, yeux fermés, pour ne pas voir arriver le rôdeur qui viendrait m’égorger.

Je fus réveillé par le froid et les premières lueurs de l’aube.








Je me souviens de la première fois où j’ai mis le pied en Guadeloupe. Je venais à l’avance de ma famille pour préparer un séjour de quatre ans. Comme c’était un aller simple je voyageais en classe affaire. Je n’avais pas le choix. J’avais la tête embrumée par trop de champagne. En sortant de l’avion, sur la passerelle, je fus saisi par la chaleur. J’avais l’impression que les réacteurs avaient été inversés pour souffler un air chaud et humide sur nous. Mais non, c’était l’atmosphère normale après une ondée. Je respirais doucement pour m’emplir les poumons de cet air nouveau. Je marchais sur la piste vers l’aérogare en essayant de m’apprivoiser à la chaleur. J’eus un petit frisson de joie à la pensée que c’était sous ce climat que j’allais désormais vivre.

Après le carrousel des bagages, je sortis devant un mur de visages, la plupart noirs, qui attendaient dans un joyeux brouhaha. J’entendais des interpellations dans un langage que je ne comprenais pas. Un homme blanc, barbu, en short et sandales portait un panneau avec mon nom. Je lui tendis la main. Tout un groupe, rien que des blancs, en tenue décontractée le rejoignit alors. Ils me disaient bonjour avec des débordements de cordialité. Je ne pouvais repérer ni leurs noms ni leurs prénoms mais je comprenais ce qu’ils me demandaient. Oui, j’avais fait bon voyage. Certains d’entre eux étaient simplement là pour m’accueillir, d’autres allaient m’accompagner jusqu’à mon hôtel. On me prit mes valises des mains et je traversais la foule au milieu d’eux pour me retrouver dans une voiture garée sur le parking au sol défoncé par les énormes racines d’un arbre aux branches horizontales. J’appris par la suite qu’il s’agissait d’un flamboyant.

En route pour l’hôtel je regardais avidement les petites cases en bois gris, après les immeubles HLM autour de l’aéroport. Je roulais vitres ouvertes. Au vu de la mer il me sembla ressentir sa fraîcheur. Les autres passagers rirent. C’était la climatisation de la voiture qui commençait à faire effet.


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jeudi 22 mars 2007

Les chaînes du passé

- Chérie, j'ai eu l'hôpital.
- ...
- Ils vont débrancher le vieux.
- ...
- Les chaînes du passé vont tomber!
- ....
- Nous allons être riches!
- ...
- Chérie, chérie, tu ne m'écoutes pas?


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mardi 20 mars 2007

Pourquoi pas?

La photo est pathétique. Le président a perdu patience. Il pose ses petits poings sur le pupitre en plexiglas. Il profère des propos parfaitement peu plaisants, plutôt pornographiques. La politesse ne le préoccupe pas! Ses porte-serviettes, ses porte-flingues pètent de peur. Le président est un pompier pyromane prêt à pourfendre la planète. Pas de pitié pour un porte-serviette peu prévenant avec le président, pour un porte-flingue pas percutant.

La présidente, prise de panique, prestement se précipite pour lui proposer une petite p.... La pécore pense pourtant qu'il ne peut plus, comme son prédécesseur, prendre son pied en pleine prestation publique. Prudemment le président préfère prendre une pose plus politique. Il ne pense pas, pour de petits plaisirs personnels, pouvoir se permettre de pénaliser ses principaux partisans, les pétroliers les plus pollueurs du pays.

Le président a peur que la presse ne le prenne à parti et que poussé par cette piteuse publicité le parlement le prive de la perspective de poursuivre avec les pleins pouvoirs son plan de punition des pays qu'il a placés au pilori. Pour une petite p... perdre la partie serait pitoyable. Le président, précédemment poivrot, ne peut plus se permettre de pécher. La providence perpétuellement lui parle et lui prescrit ses positions.

Un plénipotentiaire porte enfin au président un petit papier. Le protocole est prêt. Les photographes sont prêts. Le président Pouche va pouvoir prendre le poul du premier-ministre peu prévisible du pays des phrites et des pets-de-none, le plein de panache et de prestance, le poète, le pourfendeur du pays le plus puissant: Pominique de Pillevin.

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samedi 17 mars 2007

Etang de silence

Il faut que je vous dise … j’ai menti.

Aucun autre son, si ce n’est, s’éloignant, le croassement d’un corbeau.

Nous contemplons l’étang, but de notre promenade. L’air est léger. La lumière verte et jaune semble émaner de la surface lisse de l’eau. Elle est rythmée devant nos yeux par des branches obliques, nues, à l’écorce ocellée. Le même genre de branchages se forment en arbres de l’autre côté de l’étang. Mais c’est cette eau à l’aspect de tourmaline qui boit nos regards. Nous restons là de longs moments, aussi immobiles qu’elle.

D’un même mouvement nous faisons demi-tour. Nous marchons côte à côte en silence. Un silence qui nous a déjà détruits, dissous, comme si nous nous étions enfoncé du même pas, redingote noire bien coupée, élégante robe de dentelle blanche, dans un étang d’alcali.


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mercredi 14 mars 2007

Les yeux verts

Deux yeux verts me regardaient. Ils étaient entrés en moi par effraction. Je n'avais rien vu venir et leur regard ne me lâchait plus. Pourtant je n'étais pas folle. Le premier moment de saisissement passé, je les avais tout de suite reconnus. Il faut dire que je les avais regardés des milliers de fois. Je les regardais même plusieurs fois par jour. Le matin, le soir, quand je passais devant un miroir ou la surface réfléchissante d'une vitrine. Bref, en toute occasion. Ces yeux, bien sûr que je les connaissais, puisque c'étaient les miens.

Mais là, savoir pourquoi, c'est eux qui m'avaient surpris, dans cette pièce en stuc d'un palais du Rajasthan, Inde du Nord, Guide du routard. Cette partie du palais n'était pas, pour mon goût d’occidentale, la plus belle. Les centaines de petits miroirs irréguliers enchâssés dans le stuc, des murs au plafond, et des murs et un plafond aux formes très irrégulières, comme modelées par la main d'un géant ; tout cela faisait un peu kitsch. Mais c'était la plus ancienne, tout début du XVII° siècle. Les miroirs avaient coûté une fortune à l'époque mais ils ne réfléchissaient guère. D'où ma surprise devant ce regard qui tout à coup me transperçait.

Il me sembla, sentiment étrange, que c'était celui de l'enfant que j'avais été, regard candide et impitoyable qui jugeait celle que j'étais devenue. Je m'étais si souvent regardée depuis. Pour surveiller, anxieuse, l'invasion des rougeurs et boutons à l'adolescence, pour me rassurer sur le pouvoir ravageur de ces yeux à l'âge des conquêtes amoureuses. Mais toujours j'avais douté de moi-même. Heureusement peut-être. Même lorsque mon corps par deux fois s'était alourdi pour donner la vie. Mes yeux avaient alors acquis les feux de l'inquiétude et de la fierté. Et puis, un jour, ces yeux s'étaient noyé de chagrin, ils étaient presque morts, ils s'étaient haïs lorsque le compagnon de ma vie était parti sans me dire un mot.

La petite fille qui à cet instant plonge en mon âme au milieu du brouhaha des touristes, que me dit-elle?

Elle me dit que je l'aime dans ce qu'elle est devenue. Elle me dit que je n'ai pas de raisons d'avoir peur de ce nouveau compagnon avec qui je suis parti en voyage, de ce miraculeux printemps dans mon automne. Parce que la flamme de mes yeux d'enfant a perduré tout au long de mon chemin. Les blessures, la trahison et la rupture, ne l'ont pas atteinte. Je puis encore donner l'amour sans me perdre.


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mercredi 7 mars 2007

La tentation de Sarah

Sarah tourne en rond dans sa cuisine. Elle a l'impression que l'écoulement des minutes nécessite des efforts surhumains, comme de tirer de lourdes pierres d'un puits. Tant de fatigue et si peu de résultats! Elle devrait avoir l'habitude pourtant. C'est la même chose tous les quinze jours depuis que le divorce a été prononcé. Il reste encore des canettes de bière dans le réfrigérateur. C'est tellement important pour Sarah de ne pas les avoir toutes bues. Le salaud, il a essayé de la faire passer pour une poivrote pour avoir la garde de leur fille. Maintenant il guette la moindre défaillance de sa part. Il compte dessus. Elle est certaine qu'il interroge en douce Isabelle. L'air de ne pas y toucher. Isabelle qui n'a que six ans et qu'il faudrait laisser en dehors de tout ça.

Sarah jette un coup d’œil à l'horloge de la cuisine. Dix minutes de retard. Dix coups de poignard. C'est sûr, il joue avec ses nerfs. Des fois c'est une demi-heure, des fois trois quarts d'heure. Elle sait qu'il le fait exprès, qu'il veut la pousser à bout, conseillé par l'autre femme, celle qui a eu trois maris. S'il pouvait la trouver bien éméchée, quelle aubaine. Eh bien non! Comme chaque fois jusqu’à présent, Sarah tiendra. Elle tiendra pour Isabelle. Isabelle, cette enfant merveilleuse, devenue une arme redoutable entre eux. Sarah a gagné la première bataille. L'autre, la femme, lui a dit qu'elle n'avait pas gagné la guerre.

Cette haine, à la place de l’amour de leurs vingt ans: c'est ça qui tue Sarah. Quand elle y pense elle a l'impression que son cœur est mâché par une bête cruelle. Il faut qu'elle tienne. Elle sort de la cuisine, se précipite vers l'étroit balcon qui donne sur le parking désolant de la cité pour griller une cigarette. Il ne faut pas non plus que, quand Isabelle rentre, ça sente la cigarette dans l'appartement. C'est très mauvais pour ses poumons, madame le juge.

Sur le balcon Sarah se calme un peu. Elle tourne dans sa tête l'idée qu'elle va dire la vérité à Isabelle, la vérité sur ce qu'est son père, sur ses faiblesses, sur cette femme qui a posé ses griffes sur lui et qui, un jour, le jettera, comme les trois autres qui l’ont précédé. Sarah s'est renseignée. Elle va raconter tout ça parce que c'est la vérité et parce que ça lui fera du bien de la dire. Comme la fumée lui fait du bien. Elle rit toute seule, Sarah. Un rire un peu fou qui part de ses poumons avides de nicotine. Elle se souvient vaguement de la vieille histoire qu'on lui avait racontée quand elle était petite. Cette autre Sarah, cette vieille femme stérile qui avait ri lorsque les envoyés avaient dit de la part de Celui qu'on ne peut nommer, c'est ainsi que l’appelait la grand-mère de Sarah avec des accents de respect dans la voix, qu'elle aurait un fils. Elle, la Sarah d’aujourd’hui, n’était pas stérile, n’avait pas eu de fils mais une fille. S’il n’y avait pas eu cette fille elle serait passée depuis longtemps par la fenêtre. Sarah imagine son corps désarticulé au pied de l’immeuble en aspirant sa dernière bouffée. Elle frissonne. Sa fille ne mérite pas d’avoir une mère alcoolique comme elle. Elle ne mérite pas non plus de la voir mourir. Sarah suit des yeux tant qu’elle peut le mégot qu’elle a envoyé dans le vide d’une pichenette. Elle ne va pas se laisser faire. Elle va enlever les illusions d’Isabelle sur son père. C’est mieux qu’elle sache, maintenant. Sarah soudain se sent mieux.

Isabelle a fini son plat de nouille. Elle réclame son yaourt à sa mère. Sarah sait que c’est le moment. Maintenant ou jamais. En tendant le yaourt qu’elle est allée chercher dans le réfrigérateur. Le trac de Sarah a disparu.

-Tu sais, ton père, …

Isabelle lève ses yeux noirs, les yeux de son père, vers Sarah. Un silence, long silence.

-Non, rien. Je ne sais plus ce que je voulais dire.

Isabelle retourne à son yaourt.




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dimanche 4 mars 2007

La veuve Couderc

Cela fait exactement huit jours que personne n’a pu pénétrer dans la jolie maison de village aux volets bleus de la veuve Couderc. Ce n’est pas faute pour ses nombreuses amies, en fait tout ce que le village compte de cuisinières chevronnées, d’avoir essayé. Mais chaque fois ç’a été la même chose. Elle les a reçues sur le seuil de la porte sans jamais leur proposer d’entrer. La porte de la cuisine au bout du couloir était toujours fermée. Malgré leurs tentatives elles ne pouvaient rien voir de ce qui s’y tramait. La veuve Couderc, si accueillante d’habitude, se contentait de parler de son arrière petit-fils qui avait laissé la cible à arc devant la maison aux dernières vacances. Rien de plus malgré les questions obliques.

Le lundi soir, jour de l’ouvroir, toutes ces dames se sont retrouvées pour faire leurs travaux d’aiguilles pour les œuvres de monsieur le curé. Toutes sauf la veuve Couderc. Ce n’était pas dans ses habitudes de manquer ces réunions. Alors bien sûr elles se sont mis à parler de son étrange attitude. C’est Amandine, la femme de l’ancien gendarme, qui a percé l’énigme. Il faut dire qu’une femme de gendarme c’est malin, ça observe. Elle avait croisé la veuve Couderc chez l’épicier samedi et elle avait bien remarqué qu ‘elle achetait en douce une poignée de drôles de petits légumes multicolores. Des légumes comme ça, la femme du gendarme, et pourtant ça en sait des choses une femme de gendarme, n’en avait jamais vu. Et si cette peur de se faire repérer c’était parce que la veuve Couderc s’apprêtait à commettre un crime. Un crime ! Pensez bien que la femme du gendarme avait mené son enquête dès que la veuve Couderc avait tourné le dos. Bien sûr la veuve Couderc avait demandé à l’épicier de ne rien dire mais elle n’avait pas dû penser que le secret professionnel d’un épicier ne tenait pas devant une femme de gendarme. La veuve Couderc avait fait commander spécialement des piments oiseau frais de Guyane.

Alors dans l’ouvroir ce fut soudain l’effervescence. Tout était clair. La veuve Couderc qui depuis quarante années sans exception avait gagné le concours de cuisine du village était en train de préparer un maître coup pour la cinquantième édition. Chacune prit un air entendu, un air supérieur. Pauvre veuve Couderc. L’esprit le plus sauvage de compétition s’était emparé de l’ouvroir.

Dès le lendemain ces dames, en se guettant mutuellement, à l’insu l’une de l’autre, allèrent acheter du piment oiseau chez l ‘épicier. L’étonnant était qu’il avait à profusion de cette denrée plutôt rare dans nos contrées.

Le dimanche du concours annuel de cuisine est enfin arrivé. Il est seize heures. Toutes les cuisinières du village sont là avec leurs tabliers blancs impeccables, à côté de la petite table où leur plat est tenu au chaud sous une cloche de métal. La veuve Couderc, lauréate de l’an dernier, est la première. Monsieur le maire et les conseillers entrent. Ils goûtent le plat de la veuve Couderc. Une gigue de chevreuil. Pas mal, un peu décevant, pensent-ils. Mais les plats des autres candidates sont proprement immangeables, tués par les redoutables piments oiseaux. Les conseillers municipaux transpirent à grosses gouttes, sont pris de hoquets. La veuve Couderc a gagné son cinquantième concours.

Deux mois plus tard elle mourait. Sur sa table de chevet son fils retrouvait le carnet de recettes de la mère de la veuve Couderc. Ce carnet qui lui avait permis de gagner tous ces concours. Il n’avait que quarante neuf recettes.


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