samedi 24 mars 2007

Premières fois

Je me souviens de la première fois où j’ai pris une cuite. Enfin, je m’en souviens à peu près. C’était en classe de seconde, au cours d’un échange culturel franco-allemand aux environs de Francfort. En fait d’échange je devais être le seul français, du moins dans mon souvenir. A moins que je confonde. En tout cas ma correspondante allemande m’avait emmené à cette soirée de fin d’année scolaire dans une luxueuse villa, puis elle m’avait laissé tomber, absorbée par ses amis. Bien sûr, en-dehors d’elle, je ne connaissais personne. Je baragouinais l’allemand et les conversations étaient seulement possibles en anglais. Quand je m’approchais d’un groupe rigolard ils commençaient au mieux à me parler en anglais, puis, sans y prendre garde, ils repassaient à l’allemand. Certains ne faisaient même pas cet effort minimal et je m’éloignais d’eux rapidement. Pour les autres c’était plus difficile. Ils avaient fait le geste de m’accueillir et je n’avais pas trop envie de montrer ma totale incompréhension, ma mauvaise humeur et mon ennui. N’étais-je pas également là pour apprendre l’allemand ?

Pour donner le change, je riais par mimétisme en même temps qu’eux. Mais, au bout d’un certain temps de ce manège destiné à me rendre invisible, j’avais l’impression qu’ils se moquaient de moi à mots couverts et qu’ils me forçaient à rire de moi-même. J’étais malheureux à en crever. Alors, afin de me donner une contenance, de pouvoir sortir du groupe de manière naturelle, j’allais régulièrement puiser avec un gobelet de plastique blanc dans un grand saladier transparent rempli d’un liquide jaune à la surface duquel flottaient des tranches de bananes, de citrons, d’oranges. Au début ce liquide me parut trop fort, malgré le sucre. J’avais du mal à avaler sans faire la grimace. Mais au troisième verre les préventions de mon palais, de ma langue et de ma gorge étaient tombées. Je continuais à aller de groupe en groupe, incapable désormais de prononcer le moindre mot.

Ce que fut la nuit, nous dormions sur place sur des lits de camp au grenier, je ne saurais le dire au juste. Je me souviens cependant nettement que j’aurais préféré que ce fût la fin du monde.


Je me souviens de la première fois où j’ai monté à cheval. Il s’appelait Otto.

J’étais en vacances avec mes parents chez un couple de leurs amis qui avaient une maison de famille à La Louvesc, dans une région boisée et vallonnée, célèbre à l’époque pour son pèlerinage du quinze août. Rien à voir avec les chevaux. Le mari était un grand cavalier. Durant les vacances il montait matin et après-midi. Dès le premier jour il avait été question que je fasse des promenades à cheval dans la forêt. J’avais neuf ans. Ce serait une très bonne initiation pour les cours en manège que je pourrais prendre durant l’année scolaire.

Cela faisait une semaine que nous étions arrivés. Une semaine que j’attendais. Mon impatience et mon désir étaient tels que je craignais de m’évanouir de plaisir lorsque l’évènement se réaliserait. Je n’osais plus en parler, à peine y penser. Aujourd’hui à table, au repas de midi, il a été annoncé que cet après-midi je ferai ma première promenade en groupe. Le départ aura lieu à quatre heures. Je pose des questions sur la manière dont ça va se passer. Est-ce que je galoperai la première fois ? L’ami de mes parents me dit qu’il n’en sait rien au juste. Les cavaliers confirmés vont en tête avec les chevaux les plus difficiles. Ils ne savent pas ce qui se passe derrière, mais ce n’est pas impossible. Je verrai bien. Il faudra que j’emmène des morceaux de sucre dans mes poches pour récompenser mon cheval après la promenade. Je sais déjà comment présenter le sucre à plat pour ne pas risquer de se faire happer les doigts. Il faudra que je me comporte bien pour lui faire honneur, car il m’a recommandé au maître de manège. Je bois ses paroles.

Mes parents m’accompagnent. Je marche à côté de leur ami qui est vêtu d’une veste de chasse, d’une culotte et de bottes de cheval. Je suis fier comme Artaban. Il me présente au maître de manège un ancien jockey, petit homme aux jambes arquées, les cheveux jaunes filasse. Il me tend sa main rugueuse. Je suis un homme. On va m’apporter un cheval tout sellé. La prochaine fois il faudra que je vienne plus tôt pour l’harnacher moi-même. Mes parents, qui ne monteront jamais à cheval, restent en retrait.

Je ne veux pas tricher sur la suite. Je ne me souviens de rien d’autre que de la sensation d’avoir les jambes écartelées sur le dos de mon Otto. Je me suis mis dans la file qui démarrait, m’efforçant de tenir les rênes comme on me l’avait montré. Je n’osais pas lâcher une main pour faire un signe d’adieu à mes parents.








Je me souviens de ma première nuit sous la tente. J’avais huit ans. Camper représentait pour moi l’essence de l’aventure. Pour noël dernier mes parents m’avaient offert le Livre des louveteaux de Baden Powell. Je le connaissais par cœur. Ces histoires de Livre de la jungle, d’éclaireurs durant la guerre des Boers, n’avaient pas fini de me faire rêver. J’avais aussi lu Robinson Crusoé dans une version pour enfants et dormir sous la tente était vivre sa vie sauvage.

C’était mon premier week-end de louveteau. Notre tente de six était plantée dans un pré humide. Nous étions en automne et le soir la brume monta de l’herbe. Je commençais à appréhender le froid. J’avais hâte de m’ensevelir dans mon duvet, je me demandais si j’allais vraiment dormir. Le garçon à peine plus âgé que moi qui était responsable de mon équipe, le sizenier, m’avait attribué ma place dans la tente. Au milieu. Je serais ainsi protégé du froid, et de possibles agresseurs, par mes camarades qui dormiraient de part et d’autre de moi. Ce n’est pas ce qu’il m’avait dit mais ce que j’avais pensé. Il m’avait expliqué qu’en cas de pluie il ne fallait surtout pas, en se tenant assis ou en se relevant,faire se toucher le toit de la tente et le double-toit pour ne pas créer de gouttière. De manière générale il fallait éviter de toucher les parois de la tente. Le contraire de la solidité des murs de ma chambre.

Après avoir, comme les autres, pissé sous les étoiles, ce qui était déjà en soi un plaisir d’aventurier, je rentrais à quatre pattes dans la tente. Nos duvets étaient déroulés, alignés. Il fallait, dans les faisceaux capricieux des lampes de poches qui s’agitaient en tous sens, se déshabiller pour la nuit, mettre ses vêtements du jour en boule comme oreiller, et dormir. On se déshabillait dans les duvets. J’eus le délicieux frisson de la transgression en gardant mon slip sous mon pyjama et mes chaussettes aux pieds. Les lampes étaient désormais éteintes. Je sentais à travers le tapis de sol et mon duvet les irrégularités de la prairie. J’évitais un petit caillou. J’essayais de me mettre en boule sans déranger mon voisin pour économiser ma chaleur, et j’attendais, yeux fermés, pour ne pas voir arriver le rôdeur qui viendrait m’égorger.

Je fus réveillé par le froid et les premières lueurs de l’aube.








Je me souviens de la première fois où j’ai mis le pied en Guadeloupe. Je venais à l’avance de ma famille pour préparer un séjour de quatre ans. Comme c’était un aller simple je voyageais en classe affaire. Je n’avais pas le choix. J’avais la tête embrumée par trop de champagne. En sortant de l’avion, sur la passerelle, je fus saisi par la chaleur. J’avais l’impression que les réacteurs avaient été inversés pour souffler un air chaud et humide sur nous. Mais non, c’était l’atmosphère normale après une ondée. Je respirais doucement pour m’emplir les poumons de cet air nouveau. Je marchais sur la piste vers l’aérogare en essayant de m’apprivoiser à la chaleur. J’eus un petit frisson de joie à la pensée que c’était sous ce climat que j’allais désormais vivre.

Après le carrousel des bagages, je sortis devant un mur de visages, la plupart noirs, qui attendaient dans un joyeux brouhaha. J’entendais des interpellations dans un langage que je ne comprenais pas. Un homme blanc, barbu, en short et sandales portait un panneau avec mon nom. Je lui tendis la main. Tout un groupe, rien que des blancs, en tenue décontractée le rejoignit alors. Ils me disaient bonjour avec des débordements de cordialité. Je ne pouvais repérer ni leurs noms ni leurs prénoms mais je comprenais ce qu’ils me demandaient. Oui, j’avais fait bon voyage. Certains d’entre eux étaient simplement là pour m’accueillir, d’autres allaient m’accompagner jusqu’à mon hôtel. On me prit mes valises des mains et je traversais la foule au milieu d’eux pour me retrouver dans une voiture garée sur le parking au sol défoncé par les énormes racines d’un arbre aux branches horizontales. J’appris par la suite qu’il s’agissait d’un flamboyant.

En route pour l’hôtel je regardais avidement les petites cases en bois gris, après les immeubles HLM autour de l’aéroport. Je roulais vitres ouvertes. Au vu de la mer il me sembla ressentir sa fraîcheur. Les autres passagers rirent. C’était la climatisation de la voiture qui commençait à faire effet.


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