lundi 18 janvier 2016

Ligne une XIV


Il a repéré le siège vide en duo lorsque la rame s'est immobilisée. Il s'est précipité et n'a pas pris le temps de vraiment regarder la femme qui lui fait face. Il est enrhumé et pour cacher ses yeux qui larmoient et ses reniflements il s'est immédiatement enfoui dans la lecture du supplément Livres du Monde. Il a seulement perçu que c'était une femme aux cheveux bruns. Le titre du livre dont il lit la critique: "La haine de la littérature". Un drôle de titre qui le laisse songeur. 

Il a besoin de cette escale entre l'univers familier de son son travail qu'il vient de quitter et ce déjeuner dans un restaurant avec son ami et sa compagne qu'il ne connaît pas encore.

Il entend un téléphone sonner en face de lui. Une sonnerie inhabituelle, le tintement d'une cloche. La sonnerie dure un peu. Le téléphone ne doit pas être directement accessible. Il imagine que c'est celui d'une femme qui le cherche au fond de son sac. Un homme n'aurait pas choisi une sonnerie aussi raffinée.

Allo. Comment vas-tu?
...
Je suis dans le métro. Tu aurais vu ton fils il était fou amoureux.
(La voix est très proche. C'est donc celle de la femme qui est assise en face de lui. Il entend une pointe d'accent étranger indéfinissable. Il arrête de lire pour écouter la conversation.)
...
Oui, c'est Jennifer. Il l'a vue.
...
C'était adorable, il était perdu.
...
He was melting. Il la regardait et ne disait rien.
...
Tu le verras ce soir
...
Bise.

La conversation s'arrête. Il finit son article. Il a envie de connaître la femme dont il vient d'entendre l'agréable voix, le délicieux accent. Quels sont ses rapports avec l'homme qui l'a appelée, est-elle sa maîtresse ? Sa mère ? À quoi ressemble-t-elle. Il rabat son journal et ne peut s'empêcher de lui sourire. Elle n'est pas jeune, pas âgée non plus. Elle répond à son sourire.

Vous avez l'air enrhumé. Je vais vous donner une pilule avec du propolis. Ça vous fera du bien (Elle fouille dans son sac)
... Merci. C'est gentil.
Non, je ne le retrouve pas. Je suis désolée.
Ce n'est pas grave. Mais pouvez-vous me dire le nom de ce médicament ?
Je ne sais pas exactement. Vous le trouverez chez Naturalia. 
... (Il lui fait un petit signe de remerciement de la tête)
...
Hmm 
...
Excusez-moi. C'est certainement très indiscret de ma part mais sans le vouloir j'ai entendu votre conversation d'il y a un instant au téléphone. Quel âge a le garçon qui était melting ? Douze, quatorze ans?
Il a trois ans et demi. Elle l'avait déjà gardé une fois avant les vacances. Il ne s'attendait pas à la revoir et quand il l'a vue il a été sidéré. Il ne savait plus parler. Il ne pouvait plus bouger. Il était perdu. C'était trop attendrissant.

La conversation se termine. Ils se sourient. Ils sont à la station Argentine.

Ils arrivent à la station Charles de Gaulle-Etoile. La femme commence à se lever.
- Excusez-moi. Il faut que je vous abandonne.
- Au revoir et merci.