samedi 19 janvier 2008

Le vingt-deux décembre

Je suis mort le vingt-deux décembre 2008.

Au début, ça ne me concernait pas. Je pouvais avoir huit ou neuf ans. Quand on est mort, la chronologie …

Je ne savais pas que la mort ça existait, enfin pour moi.

Personne ne s’en rendait compte, surtout pas mes parents. En fait j’étais très, très vieux. J’avais été un compagnon de Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche, du bon roi Henri …

Bientôt ça se saurait. Les rois, les présidents viendraient me consulter. Moi, un enfant. Je dirais des choses près belles, très émouvantes. La radio, les journaux, et même l’ORTF les répèteraient.

C’est au catéchisme que j’ai compris qu’un jour, j’allais mourir. J’avais peut-être neuf ou dix ans.

J’ai tout de suite su comment je voulais mourir. Dans une sorte d’explosion solaire. En regardant Dieu face à face. Comme ça.

Pas comme ce couard de Moïse. Caché dans le creux d’un rocher. Et qui ne l’avait vu que de dos.

Après, j’ai appris que Dieu s’était fait homme en Jésus-Christ. C’était difficile de mourir rien qu’en regardant un homme sur une croix.

J’ai passé énormément de temps à tenter de déchiffrer le mystère de ce corps torturé sur un bois dressé.

Finalement j’ai abandonné les hauteurs fumantes du Mont Horeb dans le Sinaï et je me suis décidé à le suivre parmi les hommes. Dans la plaine.

Bien plus tard, mon corps avait dû se transformer, j’ai souvent rêvé d’une mort de président de la république.

Pas l’actuel, le vôtre. Encore que …

Non, le président d’autre fois. Gentil et inoffensif avec sa belle moustache et sa lavallière. Celui qui est mort dans les bras d’une femme.

Mourir ainsi, à l’acmé du plaisir …

Une fois j’en ai parlé à une de mes maîtresses. Elle m’a regardé avec horreur. Elle m’a traité de détraqué. De bouffeur de merde.

Après, j’ai gardé pour moi mes rêves. Je chevauchais Frieda la blonde, corps en tempête déchaînée, vagues hurlantes de désir projetées vers le ciel qui me léchaient le visage.

Dans le port d’Amsterdam, dans le port d’Amsterdam !

Mais c’est venu autrement. Une longue maladie, comme on dit.

Moi je dirais plutôt, une atroce maladie.

Mon corps est entré en révolte. Explosion anarchique de vie. Prolifération maline de vie.

Entre nous ce fut immédiatement la guerre. Vie contre vie. Lui contre moi. Moi contre lui. Lui contre lui. Moi contre moi.

Je crois que c’est lui qui a commencé. Mais c’est peut-être bien moi. Trop d’alcool. Trop de tabac. A ce qu’il paraît.

En tout cas nous nous sommes rendu coup pour coup. Je l’ai brûlé de rayons mutilants. Je l’ai ravagé de produits chimiques corrosifs. J’ai fait porter contre lui le fer du bistouri.

Il m’a abreuvé de souffrances, de nausées, de fatigues. Indicibles.

Il a transformé mon sexe, si précieux, en moribond. Parmi des chairs rendues glabres.

Il a fini par gagner. Il m’a expulsé de moi-même et de lui. Ainsi, il s’est suicidé.

Quand j’ai définitivement perdu le combat, la société, pour un temps encore solidaire, m’a tendu une main secourable. Elle m’a accueilli dans une unité de soins palliatifs.

La chambre était lumineuse. Je crois que ma femme et mes enfants étaient là.

J’étais une barque échouée sur une grève. La mer est montée et je suis parti vers le large.

Et maintenant ?

Maintenant, vous devez continuer à vivre votre vie. Avec ses espoirs et ses craintes. Ses certitudes et ses doutes. Ses moments d’angoisse et ses moments d’oubli.

Et moi ?

Oh, moi ! Je vous en ai déjà beaucoup trop dit.

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