jeudi 12 avril 2012

Ligne une VI

Il s’en était fallu d’une circonstance infime que la rencontre ne se produisît. C'est ainsi qu’un minuscule décalage dans l’ordre usuel des choses suffit parfois à révéler la splendeur d’une mise en scène qui se fût autrement perdue dans la foule.

Il avait pour habitude lorsqu’il prenait le métro pour s’en retourner chez lui de monter au premier tiers de la rame, ce qui lui permettait sitôt descendu à son arrêt de s’engouffrer dans la sortie qui le menait au plus près de son domicile. Ce jour-là il monta en queue de train. Lorsqu’il y y repensa par la suite il ne parvint pas à se souvenir pourquoi. Il n’était pas dans son caractère de croire à une quelconque providence. Le hasard lui suffisait mais pas lorsqu’il s’agissait d’expliquer un écart par rapport à ses gestes les plus invétérés. Après moultes réflexions il finit par se rallier à l’hypothèse que lorsqu’il était arrivé par son couloir habituel en queue de rame le signal de fermeture des portes retentissait. Pour une raison qu’il ne savait expliquer il serait contrevenu à sa décision irrévocable de ne rien faire par précipitation et il avait dû bondir par la porte en train de se refermer.

Toujours est-il que pour atteindre l’escalier qui s’enfonçait pour trouver sa sortie il avait dû remonter les deux tiers de la rame laissant au flot pressé des voyageurs largement le temps de s'écouler. Seul donc il descendit les marches qu’une femme gravissait, seule également. Attentif à ne pas trébucher il remarqua tout d’abord l’élégance extrême du tissu de la robe longue de la femme. De larges motifs floraux bleu clair sur un fond rose clair. Sans fadeur aucune ni agressivité. A peine eut-il le temps de s’émerveiller de la hardiesse, de la parfaite réussite de cette harmonie de couleurs que le geste de la femme, le mouvement gracieux de l’étoffe balayée devant ses pas pour ne pas entraver sa montée le frappa de stupeur l'espace d'un instant. Le temps que son regard remonte de la main qui tenait les plis de l’étoffe au bras et à l’épaule nus, au visage enfin. Le front haut, bien marqué par des cheveux en boucles lâches, épaisses qui l’encadrait, l’ovale régulier,les traits parfaitement dessinés, le regard deviné puisque les yeux ne se détournaient pas de leur attention à l’escalier, tout cela, et plus encore qu’il ne savait analyser, lui fit songer à un éblouissant portrait de photographe d’Eva Gardner ou d’Eva Peron.

Si fort était son saisissement qu’il n’osa pas jeter un deuxième regard et encore moins se retourner lorsqu’il eut croisé la belle inconnue qu’il avait surprise jouant à gravir les marches de la Croisette avant de les redescendre les bras chargés de roses blanches.

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