vendredi 4 avril 2014

Ligne une XIII



Il sort en hâte de la station de métro. Ce passage par l’hôpital pour se faire enlever un Holter posé la veille n’est qu’une parenthèse incongrue dans une journée à l’emploi du temps serré, tendu comme la peau d’un tambour de guerre. C’est aussi un désagréable rappel que son corps peut le trahir, l’a déjà trahi. Il n’y pense pas trop. Seul compte le moment où il pourra de nouveau se plonger dans des activités utiles. Il ne supporte pas d’attendre et à l’hôpital on ne sait jamais combien de temps ça peut durer.

Sur le trottoir il s’avance au devant d’un homme jeune, trisomique, qui porte une kippa noire. Il regarde avec attention la kippa, les lettres brodées en fil d’argent. Qu’y a-t-il d’étonnant à voir un juif trisomique ? Rien bien sûr mais il a l’impression que c’est la première fois que cela se produit. Le jeune homme tient un livre à l’épaisse couverture noire et il le lit en marchant. Ce livre a quelque chose de vénérable. Il n’est pas neuf ni non plus en mauvais état. Il se dit que ça doit-être le Livre. Comment disent-ils ? La Thora ? C’est ça, la Thora.

Le jeune homme regarde le livre ouvert, regarde le trottoir devant ses pas, retourne au livre.

Que comprend-il de ce qu’il lit ? Sait-il seulement lire ? Reconnaît-il les lettres ? Il n’en sait rien. Il ralentit le pas pour le regarder. La kippa sur les cheveux noirâtres, le livre, la lecture et la marche. Il ressent que quelque d’important se passe. Quelque chose dont le sens lui échappe. Il aimerait être juste un instant un juif pieux pour décrypter la scène. Un souvenir de son catéchisme lui revient. David, le jeune David qui a tué le géant, était beau et roux. Enfant ces deux adjectifs accolés lui étaient parus étranges. Le jeune homme trisomique n’est pas roux. Est-il beau ? Aux yeux de sa mère peut-être.

Si elle s’est aperçue qu’il est parti avec le Livre elle doit être inquiète. Pour le Livre et pour son fils. Si elle découvre le larcin à son retour elle risque de se mettre en colère. Il imagine une bruyante et brève pluie d’orage sur les feuilles desséchées d’un arbuste méditerranéen. Ne devrait-il pas l’accompagner discrètement jusqu’à sa destination pour lui éviter une mauvaise rencontre ?

Il s’éloigne, songeur.


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