mercredi 5 octobre 2016

La pie grièche

Quand les deux yeux fermés en un soir chaud d'automne que, par un sûr instinct, il pressentait devoir être le dernier, alors qu'il se tenait membres déployés, parfaitement immobile, sur la lame de granit schisteux que toute la journée le soleil avait chauffée, au fur et à mesure qu'il ralentit sa respiration, il sentit plus fortement la chaleur accumulée pénétrer sa poitrine et son ventre nus contre la pierre. Peut-être était-ce une certaine mémoire enfouie dans le système complexe des interactions physiques, chimiques, électriques dont il était constitué qui le poussait à imiter une fois encore, mais d'une manière s'il était possible plus parfaite que d'habitude, la minéralité des feuillets de roche parmi lesquels il se dissimulait. Pourtant ce jour-là le vieux chasseur ne sortait pas sa langue sensible, mobile. La saison devait en être passée.

Il portait en lui des fragments de son histoire comme la pierre sur laquelle il reposait portait des fragments de mica. Un doigt cassé s'était reconsolidé de travers: témoin de la rencontre d'un rival poussé par la même pulsion à l'accouplement que lui. Sa queue arrachée avait repoussé,  grotesquement double: exploit conservé précieusement dans le musée des souvenirs d'un ancien enfant demeuré cruel, mais qui avait cessé depuis longtemps d'être charmant.

Une pie grièche s'abat sur le lézard. D'un coup de bec elle lui casse le dos et clôt l'histoire.

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