dimanche 27 avril 2008

Donatien

Ecrit dans le TGV entre Lyon et Paris le dimanche ...

Mon amour,


Après cet après-midi chez mes parents où tu as fait connaissance de Donatien, mon petit frère de huit ans, nous n’avons pas pu parler. Tu es partie immédiatement en voiture pour Aix, où tu donnes tes cours à la fac, et moi je t’écris dans le train pour Paris. Demain je commence les écrits de l’agrégation de philosophie. Mais ce week-end loin de Kant m’a fait du bien.

Bien sûr je t’ai souvent parlé de Donatien. De l’importance qu’il a dans ma vie. Mais cette première rencontre entre vous, pour moi, ce n’était pas évident. Comment allais-tu réagir à ce jeune trisomique, ce jeune mongolien ? Je ne parle ni de ton intelligence ni de ton cœur, je les connais et j’étais confiant, mais de ta sensibilité. Lui, il ne s’est pas posé toutes ces questions. Il est venu s’asseoir immédiatement sur tes genoux. Puisque je t’aimais, il t’aimait aussi. Et j’ai tout de suite vu que tu accueillais la manière qu’il avait de t’accueillir, que tu recevais l’affection qu’il te donnait, avec sa façon de faire, généreuse et confiante. Sans te connaître.

Maintenant que tu mets un visage, son visage si rebutant pour certaines personnes, sur son nom je peux t’avouer que ça n’a pas toujours été simple pour moi, que ce n’est pas simple tous les jours, encore aujourd’hui, d’avoir un frère comme lui. J’ai vécu l’annonce de son handicap comme une blessure, comme une profonde blessure personnelle qui m’atteignait au cœur de mon être. Bien souvent je l’ai détesté, j’ai même souhaité sa mort. Surtout quand je voyais maman pleurer. Mais en même temps je l’ai toujours profondément aimé. J’ai aimé sa manière d’accueillir la vie, son affection, sa gentillesse. Tu m’as dit que tu m’avais remarqué dans notre milieu de normaliens en perpétuelle lutte pour défendre leurs idées parce que j’avais un grand sens des réalités humaines. C’est à Donatien que je le dois.

Sa façon de venir vers toi, de se livrer à toi qui aurais pu le rejeter, c’est bien lui. Cette confiance dans la vie, malgré tous les coups que la vie lui donne. Cette confiance dans les gens. Cette gentillesse désarmante. Cette amitié. Et en même temps ce physique qui dérange. Cette peur parfois suscitée dans le regard d’autrui. Avec lui j’ai appris à être aux aguets, à me défendre contre la méchanceté. Mais lui, il m’a toujours pacifié. Tu sais, ma vie intellectuelle, si importante pour moi, est faite de choses dont il n’a aucune idée, mais ce qu’il est compte énormément dans ma manière de voir le monde.

Alors ce soir, après t’avoir vue prendre Donatien sur tes genoux, la veille de mon agrégation, je te demande de me prendre la main et que nous allions ensemble au lieu où nous pourrons créer un foyer. Un foyer qui ne sera pas celui de Donatien mais le nôtre. Un foyer où nos enfants et nous accueillerons parfois l’altérité de Donation. Pardonne ce concept à ton apprenti philosophe. Je crois que cette altérité, cette ouverture à Donatien, donnera de la profondeur et de la force à ce que nous construirons.

Je t’aime

Ton Arthur

3 commentaires:

mapie a dit…

Un double merci pour ton comm. Merci parce que merci! et puis, merci parce qu'il m'a permis de lire cette lettre fabuleuse...que j'aimerai moi même un jour avoir écrite. C'est très touchant.

Nathalie H.D. a dit…

Je te découvre grâce aux impromptus littéraires et à ton charmant portrait d'amant parfait.
Magnifique lecture aujourd'hui ici aussi, je reviendrai.

mpvd a dit…

Un meuble familal que tu connais et qui comme toi a un amour fou pour Donatien comme pour Simon a été très ému par cette lettre. Il n'en dit pas plus.