vendredi 10 avril 2009

Au bout du fil

La route de campagne est agréable en cette fin d’après-midi de printemps. De temps en temps je jette un coup d’œil dans le rétroviseur à Benoît, mon petit bout de six ans qui, sagement, regarde défiler le paysage. Je soupire en songeant à toutes ces heures perdues dans cette ennuyeuse invitation. Je viens de prendre la direction de cette agence bancaire principale d’une ville moyenne de l’est de la France. Mon adjoint qui est là depuis des années, et qui a sensiblement le même âge que moi, a tenu à m’inviter un dimanche midi avec madame et les enfants. Il a fallu lui expliquer que de mon côté il n’y avait plus de madame. Pas la peine de lui dire qu’à la place il y avait un monsieur. De toute façon mon compagnon restait à Paris et on se retrouvait les week-ends grâce au TGV. Pour mon fils, il tenait absolument qu’il soit là car il avait deux filles presque du même âge que lui.

En repensant à la visite je m’étonne encore que des gens puissent se comporter comme ça. Les petites filles m’avaient fait la révérence pour m’accueillir. Leur mère qui, au bout de trois phrases m’avait dit qu’elle était fille de colonel, avait mis les petits plats dans les grands. Le repas avait été ennuyeux à mourir. Les enfants n’avaient pas le droit de parler avant le dessert. Heureusement Benoît s’était tenu coi. Sinon j’aurais dû prendre sa défense, ce qui aurait été bien embarrassant pour la suite de mes relations avec mon adjoint. Car celui-ci ne manifestait aucun sens critique sur la discipline surannée qu’imposait sa femme. Visiblement il n’en revenait toujours pas de l’honneur que lui avait fait une fille de colonel de le prendre pour époux. Il buvait littéralement ses histoires de jeunesse, qu’il avait pourtant dû entendre bien des fois. Pour moi qui avait fait mon service militaire comme deuxième classe, et ne connaissais ni le commandant Machin ni le colonel Truc, elles étaient dénuées du moindre intérêt. Comme j’aurais été mieux à me promener dans la forêt avec mon fils Benoît plutôt que de lui imposer ce supplice de l’immobilité et du silence.

Mais au fait qu’en avait-il pensé ?

- Benoît, comment elles étaient les petites filles ?
- Bien
- Tu ne t’es pas ennuyé ?
- Non, elles m’ont raconté des histoires très drôles.
- ???
- Tu connais la différence entre un téléphone et un Tampax ?
- Non- Je ne savais pas que le Tampax faisait partie du vocabulaire de Benoît et j’attends la suite avec beaucoup de curiosité.-
- Hé bien pour le téléphone on ne voit pas qui est au bout du fil.
- ??? – Je reste un instant atterré tellement je trouve cette histoire déplacée. Ce n’est pas parce que je vis désormais avec un homme que je ne considère pas le corps de la femme comme une terre sacrée-

Mon fils éclate de rire en regardant dans le rétroviseur si moi aussi je riais. Je souris faiblement pour lui faire plaisir.

- Au fait papa, c’est quoi un Tampax ?

A mon tour j’éclate de rire en pensant qu’après notre départ mon adjoint et son insupportable femme avaient dû se féliciter de l’excellente impression qu’avait certainement laissée sur moi l’excellente éducation de leurs filles. C’est sûr que si d’aventure je percevais la moindre allusion homophobe me concernant de la part de mon adjoint je saurais ressortir cette histoire.

Et de préférence en public.

1 commentaire:

Prax a dit…

un tampax comme munition allusive ?