samedi 4 avril 2009

En quittant Bassorah

« Amenez les couleurs »

C'est la dernière fois que le caporal Tim Barton au garde-à-vous regarde l'Union-Jack, le drapeau britannique aux couleurs rouge, blanc, bleu et noir, descendre dans le ciel d'Irak. Cette nuit sa compagnie quitte Basra, et cette fois-ci, c'est pour ne plus y revenir. Le premier ministre, un type sérieux, un écossais, a annoncé que d'ici la fin de l'année ce serait fini pour tout le monde.

Le caporal Tim Barton n'a que vingt-quatre ans mais ces longs mois de guerre l'ont prématurément vieilli. En rompant les rangs il pense aux histoires racontées par les vieux sous-officiers qui avaient été là au début, la guerre triomphale contre les troupes de Saddam, l'accueil chaleureux de la population chiite et puis, bientôt, la tension, la haine. Les patrouilles dans les rues jaunâtres où la mort pouvait venir de nulle part, de cette gamine qui vous souriait en agitant la main, d'un tireur embusqué, d'une mine bondissante cachée dans la poussière au coin d'une maison. Toujours être aux aguets, se méfier de tous mais toujours sourire, ne jamais montrer sa peur. On n'est pas les américains à rester enfermés dans nos véhicules blindés, gueulait le sergent Elwis quand ils débarquaient pour une patrouille à pied.

Ça ne l'a pas empêché de se faire descendre, pauvre sergent Elwis. Comme tant d'autres, comme John Gardner, le grand copain de Tim.Ils avaient grandi dans le même quartier d'Aberdeen, ils avaient fréquenté la même école, le même club de foot, ils s'étaient engagés le même jour. John connaissait la fiancée de Tim, Grace, qui est caissière chez Tesco. Tim et John c'était vraiment à la vie à la mort. Ils s'aidaient mutuellement à supporter ce qu'il y avait de plus dur ici, l'ennui des interminables journées passées à attendre au cantonnement sans pouvoir rien faire, sauf boire de la bière au foyer, et parler du pays avec John. Après la mort de John il n'y avait plus eu que la bière.

Dans l'avion du retour qui survole maintenant l'Italie Tim Barton repense une fois de plus à la femme, dans le nord, quand sa compagnie était partie appuyer les américains. Ça bardait! Ils s'étaient retrouvés seuls, John et lui avec cette femme et sa petite fille dans sa maison. Après, hé bien après, ils auraient pu tuer la femme. Peut-être qu'elle aurait préféré. Elle pleurait en silence dans ses grands voiles noires. Ils entendaient crier sa petite fille qu'ils avaient enfermée dans le placard. Mais ils sont partis comme ça, comme des voleurs. Tim n'est pas très sûr, mais il a bien l'impression que John, avant de partir, a demandé pardon à voix basse, en anglais. Et puis ils n'ont plus rien dit. Il s'agissait d'éviter de se faire descendre et de retrouver les copains. Seulement à un moment, sans que Tim lui demande rien, John a dit: « Bah, c'est la guerre ». Et deux jours après il s'est fait tuer bêtement, en commettant une faute grossière, lui si prudent d'habitude.

Cette histoire, il vaut mieux l'oublier. Plutôt rêver à Grace, ses yeux couleur paille, sa peau si blanche, si douce avec ses tâches de rousseur qui forment des îles, la chaleur de son cou. Bientôt, et pour longtemps. Ah, rien que d'y penser!

Et puis les parents de Tim. En attendant que leur fils et Grace trouvent un appartement pour eux ils les logeront dans la mansarde que le père de Tim a aménagée avec un réchaud et un petit réfrigérateur. Il pourra aller en vélo à la caserne. Il prendra des cours pour passer sous-officier. Tim aime bien ses parents, il sait qu'ils l'encourageront et qu'ils surveilleront le ventre de Grace dans l'espoir d'un petit enfant.

Le caporal Tim Barton a peur.

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