dimanche 15 décembre 2013

Ligne une XI


 



La ligne une est l'intention de relier les points d'émergence des stations qui la constituent, de Château de Vincennes à La Défense dans les deux sens. Elle offre à ceux qui l'empruntent la possibilité de lire des livres, des dossiers, des journaux payants ou gratuits, des écrans reliés au monde entier, ou même des visages. Il est possible d'y écouter de la musique, celle qu'on emmène avec soi ou qu'offre parfois un baladin du métro avec plus ou moins de bonheur, des bribes de conversations en vis-à-vis ou au téléphone. On peut y rêvasser, y dormir et même s'y ennuyer.



Pour l'instant il rallie Concorde à Bastille mais il ne peut ni lire, si ce n'est des visages et des statues sur leurs socles, ni dormir ni s'ennuyer. Il pourrait écouter de la musique comme beaucoup de ceux qu'il croise. Mais ce n'est pas ainsi qu'il pratique la course à pied. Il est arrivé au jardin des Tuileries, sur le trajet de la ligne une, mais décalé de son tracé qui doit cheminer en souterrain sur sa gauche. Cet exercice sportif modéré de début de week-end est devenu pour lui un véritable rituel apaisant et il faut des circonstances climatiques ou personnelles exceptionnelles pour qu'il ne s'y soumette pas chaque semaine. De surcroît il vaut à sa cinquantaine dépassée l'approbation de son médecin et coupe court à des questions qui deviendraient trop pressantes sur son hygiène alimentaire ou sa consommation quotidienne de cigarettes.



La matinée est particulièrement agréable avec un soleil chaleureux de début d'automne. Ses foulées se déroulent en souplesse et il ne sent pas la moindre petite douleur, annonce d'un claquage musculaire ou d'une tendinite, sans parler d'un accident cardiaque. Non, décidément, les conditions sont idéales !



Il arrive à l'Arc du Carrousel, dépasse les marchands sénégalais de tours Eiffel et s'arrête sagement au feu avant de pénétrer dans l'espace vaguement délimité par des barrières métalliques entre les bâtiments en U où se dressent les pyramides de Pei. Les visiteurs ne sont pas encore trop nombreux, entre ceux qui font la queue à la base de la pyramide principale pour entrer au musée et les touristes qui se reposent sur les margelles des bassins ou les couples de touristes du monde entier qui se photographient l'un l'autre devant le monument. Certains jours où il interrompt sa course pour reprendre souffle il peut lui arriver qu'on lui confie l'appareil photo pour réaliser un de ces clichés banals des deux tourtereaux destiné à finir dans un cadre argenté sur une desserte quelque part dans l'Alabama ou le Sichuan. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui où ni la densité des visiteurs ni sa fatigue ne le contraignent de passer de la course à la marche.



Cela ne l'empêche pas de regarder du coin de l’œil ce qui se passe autour de lui, d'apprécier la beauté des femmes, de supputer le potentiel sexuel de leur couple. Plaisirs secrets d'un voyeurisme imaginaire recueillis au passage. En s'approchant des escaliers qui mènent à la Cour carrée il remarque une jeune femme blonde, elle pourrait être suédoise ou norvégienne, qui fait mine de tenir la Grande pyramide dans sa main droite à plat pour l'objectif de son compagnon. Elle est vraiment charmante, pleine de fraîcheur elle exhale la joie de vivre. Il poursuit sa course et décide de se retourner pour lui faire un signe appréciateur du pouce dans le dos de son compagnon. Mais à l'exact moment où il fait son geste accompagné d'un sourire la belle lui tire la langue. Cette simultanéité inattendue transforme son sourire en rire et il l'entend qui rit, elle aussi.



Cet épisode de complicité l'enchante alors qu'il poursuit sa course. Est-ce que la belle va donner à son amoureux l'explication du tiré de langue suivi d'un rire ?

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