lundi 23 décembre 2013

Ligne une XII



Contrairement à son habitude il ne regarda pas les femmes qui se trouvaient dans la rame du métro. Il ne chercha pas sur laquelle fixer ses rêveries sensuelles. Il ne ferma pas non plus les yeux pour se recueillir ou se reposer. Il ne lut pas. Non, il ne fit rien de tout cela. Il demeura les yeux ouverts et fixes devant lui sans rien voir. Seuls les coups d'œil qu'il jetait à sa montre toutes les deux ou trois stations le faisaient sortir de son immobilité. Il avait pris de la marge et la conservait.

À la sortie du métro il se dirigea d'un pas pressé vers sa destination. Il commençait à faire vraiment froid. Il dépassa plusieurs clochards couchés dans des duvets sur des cartons sans leur consentir un regard. Un peu plus loin il croisa un homme debout qui s'adressa à lui. Il ne comprit pas ce que l'homme lui demandait. Il fit mine de n'avoir rien entendu, ne détourna pas le regard. Son attitude d'enfermement en lui-même le surprit. Il pensa que l'homme devait être un clochard qu'il avait blessé de son mépris mais lorsqu'il l'entendit lui parler avec colère alors qu'il était déjà à quelques pas de lui il se dit que c'était peut-être un passant qui demandait son chemin.


Est-ce que je vais faire demi-tour et m'excuser? Lui dire que je vais faire la surprise à ma compagne de l'attendre à la descente de son train et que si j'ai fait mine de ne pas l'entendre c'est que je ne voulais pas la rater? Est-ce que je vais lui avouer que j'étais enfermé en moi-même parce que dans quelques jours on va m'opérer et peut-être, probablement même, trouver des cellules cancéreuses, me faire basculer dans une vie d'épuisant combat contre une maladie qui me fait peur? Et qu'en attendant j'avais décidé de profiter des derniers jours où le doute pouvait me laisser de l'espoir pour manifester de toutes les manières possibles mon amour à ma compagne, d'aller la chercher à la descente du train comme aux premiers temps de notre relation? Ou simplement invoquer ma distraction?

Déjà il avait tourné le coin de la rue.

Si c'est un clochard il sera encore là quand je repasserai. Je me détacherai du bras d'Anna et j'irai vers lui avec une expression amicale pour qu'il n'ait pas peur s'il me reconnaissait. Je lui dirai que tout à l'heure j'étais passé sans lui prêter attention parce que j'étais en retard, que je craignais de rater l'arrivée du train de ma compagne. Je lui donnerai un billet de 10 Euros.

Son cœur se serra. Il contribuait à la laideur du monde

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