mardi 26 décembre 2006

Lettre de voeux

Cher monsieur Nason,
Permettez à votre ancien élève, Léon Marbeuf, de vous présenter ses meilleurs voeux pour l'année 1917. J'espère que vous continuerez à jouir d'une bonne santé gràce au bon air de notre Thiérache. Je vous souhaite également de bons résultats pour vos élèves au Certificat.Tout le monde sait que vous êtes le meilleur intituteurdu canton.
Je vais beaucoup mieux. Le médecin major m'a dit hier soir que je pourrai revenir à la maison pour pâques. Cà fera alors un an que j'aurai été projeté par cette boule de feu qui a criblé mon pauvre corps d'éclats métalliques. Ma jambe gauche me fait moins mal. J'ai évité de peu la gangrène et l'amputation au printemps dernier. J'ai aussi échappé à neuf mois de plus à patauger dans l'eau et la boue, à cuire sous le soleil. Je pense aux copains qui en ce moment luttent contre le froid.
Pour moi, la guerre est finie. Ma jambe blessée est en coton. Je ne l'ai pas dit à mes parents. Le Père compte sur moi pour continuer à retourner la terre avec Grise, notre jolie jument percheronne. Ils savent seulement que j'ai pas été amputé. Pour moi, la ferme aussi c'est fini. J'ai vu monsieur l'aumônier. Rassurez-vous, je continue à me méfier, mais ici c'est pas comme au pays. On vit ensemble, on meurt ensemble et ils viennent avec les ambulances entre deux attaques relever les blessés qui appellent leur mère. Ma blessure je sais pas comment çà s'est passé. Je me souviens de rien en-dehors de la boule de feu. Probable que j'ai été assommé par le choc. Probable que j'ai pas eu le temps d'appeler la Mère.
Mais c'est pas la question. J'ai encore un peu la tête embrouillée. Il faut me pardonner. Ce que je voulais dire c'est que l'aumônier m'a dit qu'avec ma blessure je pourrais avoir une dispense d'âge pour entrer à l'école normale. Vous vous rendez compte, ce serait formidable. C'était votre idée à vous mais je suis le seul enfant, et le Père il voulait pas. Et c'est vrai que j'aimais bien, aussi, le travail de la ferme. Je pourrais commencer par enseigner aux petits et puis un jour, quand vous partirez en retraite, je pourrais vous remplacer.
Mais ce qui m'ennuie vraiment c'est pour ma Célestine, vous savez, Célestine Leroux. On s'était promis de se marier si je revenais de la guerre. Mais avec ma blessure au ventre je pourrai plus faire ce que font les hommes. C'est quelque chose de délicat à dire à une jeune fille mais je voudrais pas qu'elle croie que j'ai changé d'idée ou que c'est à cause d'une autre que je veux plus l'épouser. Il faudrait que vous alliez voir le curé du village. Lui, c'est pas vraiment un homme, et puis elle va tous les mois se confesser. Il pourrait lui expliquer avec ses mots à lui. Mais moi j'ose pas lui écrire car, vous savez, son église je l'ai pas beaucoup fréquentée. Il faudrait qu'il parle à ma Célestine avant que je revienne.
Merci monsieur Nason. Je serai heureux de vous revoir. Pour ma jambe et l'école normale c'est pas la peine de le dire à mes parents. Je leur dirai moi-même.
Votre ancien élève,

Léon Marbeuf

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce texte émouvant. Séquelles de la barbarie des hommes. Bravo au valeureux héros qui a surmonté les épreuves. On aimerait en savoir plus sur le chemin de vie de Célestine après sa rencontre avec le curé.

Anonyme a dit…

Une belle histoire émouvante. Il y a encore la guerre un peu partout dans le monde.