vendredi 22 juin 2007

Barbe à papa

Enfant lyonnais, ma grand-mère m’emmenait tous les samedis après-midi au Parc de la Tête d’Or, un nom qui me faisait rêver. Petite femme voûtée, elle tenait d’une main son cabas noir rempli des croûtons de pain qu’avaient descendus à sa loge durant la semaine tous les habitants de l’immeuble, de l’autre elle me donnait la main à moi, petit bonhomme sautillant du bonheur de cette sortie. Le pain c’était pour nourrir les daims, les miettes iraient aux cygnes et aux canards.

Quand la distribution était finie nous flânions dans les allées comme deux amoureux, la grand-mère et son petit-fils. Il y avait des stands où se vendaient des cacahouètes et de la barbe à papa. J’étais captivé par la fabrication de la barbe à papa. Jamais ma grand-mère ne m’en achetait mais je m’approchais autant que je pouvais du bol de métal. Je n’arrivais pas à comprendre comment, tout à coup, apparaissait cette ouate rose venue de nulle part ; au tout début rien, puis un fil à peine visible qui rapidement se transformait en quelque chose qui flottait dans l’air comme un nuage puis s’enroulait autour du bâton de bois que tendait la vendeuse. Plus je regardais et plus j’étais fasciné. C’était exactement l’histoire de la création à partir du néant de mon catéchisme.

En m’endormant le samedi soir, après avoir mangé la rituelle soupe aux pâtes en forme de lettres de l’alphabet et la tranche de jambon blanc, je revoyais la délicate couleur gris-rosé des mufles humides des daims tendus vers le pain que je leur faisais passer à travers le grillage et aussi les batailles des canards et des cygnes pour attraper les morceaux qui flottaient sur l’eau verdâtre. Mais surtout je songeais aux mystères de la barbe à papa. Je n’avais même aucun regret de n’y avoir jamais goûté. Ma grand-mère m’avait dit que ça n’avait que le goût de sucre, j’ai compris plus tard que ses moyens ne lui permettaient pas de m’en offrir. Ce qui m’intéressait vraiment c’était de penser à cet insaisissable moment où quelque chose surgit pour la première fois, ce qui m’intéressait vraiment c’était de penser au moment de mon apparition. Je savais qu’il ne s’agissait pas de celui de ma naissance, car j’avais existé auparavant dans le ventre de ma mère. Pour ce qui avait précédé, pour le moment fondateur de mon existence, je ne savais rien. Je ne pouvais me figurer comment j’avais pu surgir de nulle part, comme le nuage rose.

J’ai mangé pour la première fois de la barbe à papa un samedi après-midi, le jour de l’enterrement de ma grand-mère. J’avais fait une thèse en physique des matériaux. Je savais tout de la fabrication de la barbe à papa et j’avais été la fierté de ma grand-mère. En mangeant la barbe à papa j’ai été déçu par le goût et la sensation de vide.. Et tout d’un coup j’ai réalisé que je ne la reverrais plus.



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Annuaire des blogs - Dictionnaire des reves - Annuaire féminin http://www.les-blogs.info/gestion/in.php?url_id=945

2 commentaires:

Ondine a dit…

Une exquise poésie dans ce texte et une grande tendresse! Bravo!

Anonyme a dit…

Coucou Arthur, je te tague.

Pour en savoir plus, lire ceci :

http://iowagirl.hautetfort.com/archive/2007/06/21/joindre-l-utile-a-l-agreable.html