lundi 25 juin 2007

Le prêcheur

Cela faisait douze jours que les voiles du Au milieu de nulle part pendaient sans vie, abandonnées des alizés. Cela faisait dix jours que le capitaine était mort de la fièvre qui le minait depuis les côtes d’Afrique et commençait à gagner l’équipage. Cela faisait sept jours que l’équipage, maître queux en tête, avait tué le second puis violé et jeté par-dessus bord la jeune femme du capitaine dont plus personne ne supportait plus les cris déments. Cela faisait six jours que les hommes, tous les hommes, maître queux en tête, étaient descendus dans les caves violer les négresses et tuer les nègres au hasard à coups de rames. Ils avaient commis tous ces crimes à jeun. Après seulement ils avaient bu, comme s’ils avaient la soif de l’enfer. Tous, sauf le maître queux, un ancien capucin défroqué. Lui était resté sombre à errer sur le pont une journée entière.

Cela faisait cinq jours que le maître queux, vêtu de la redingote du capitaine, avait commencé à haranguer les hommes au pied du grand mât. Il les avait harangués pendant trois jours sans discontinuer. Il leur avait dit que la panne d’alizés, la fièvre du capitaine, le viol de sa femme et des négresses, les cervelles éclatées des hommes, que tous ces crimes auxquels lui-même, un homme d’église avait participé, que tout cela n’était que l’annonce des malheurs de la fin des temps, qu’ils allaient tous être effroyablement punis, que la foudre du ciel s’abattrait sur eux. Les hommes, qui avaient désormais fait tout le mal dont ils étaient capables, qui étaient imbibé du rhum frelaté réservé à l’équipage, après avoir bu le rhum choisi des officiers, se mirent à l’écouter. Il fallait jeter à la mer tous les nègres, morts ou vivants, il ne fallait surtout pas épargner les négresses tentatrices. C’était les femmes impies qui empêchaient le vent de souffler, qui avaient fait lever la fièvre. Une joie féroce poussa les hommes à défoncer les bastingages pour envoyer plus vite à la mer le mélange de cadavres et de vivants enchaînés. Certains matelots furent jetés à la mer avec la négresse qu’ils prétendaient sauver.

Cela faisait deux jours que ce travail macabre s’était achevé. Ils erraient sur le pont, désœuvrés, le rhum allait bientôt manquer. Les voiles restaient flasques, la fièvre continuait à gagner. Une rumeur mauvaise se mit à parcourir l’équipage. Le maître queux avait gardé une négresse auprès de lui. Ils se rassemblèrent tous, les plus malades se traînaient sur leurs mains. Une foule haineuse et morne entoura le grand mât. Le maître queux s’adossa au pied du grand mât. Une dernière fois il les harangua, une dernière fois il les convainquit. Ils défoncèrent les portes de la soute à munition, recouvrirent le pont de poudre. Du haut du grand mât le maître queux vit le Au milieu de nulle part s’enflammer comme une étoupe et les hommes pousser des hurlements de douleur. Il entonna de sa voix de stentor des psaumes en latin jusqu’à ce qu’à son tour il sombre dans les flots qu’un léger alizé commençait à caresser.


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2 commentaires:

Anonyme a dit…

apocalyptique
J'aime particulièrement le décompte jusqu'à la fin

Arthur H. a dit…

J'ai voulu écrire sur la folie. Celle desdoctrinaires, celle suscitée par les violences sociales comme l'esclavage.