vendredi 13 juillet 2007

Toucher le soleil

Dès le début je me suis dit que ça ne marcherait pas. Il y avait quelque chose qui clochait dans le reflet qui m'était renvoyé par la vitrine du pressing en bas de chez moi. Je n'en aurais pas mis ma main au feu mais il me semblait bien que ma mère m'avait dit un jour qu'il ne fallait pas mettre de chemise bleu clair avec ma veste de costume vert clair. Et c'est précisément ce que j'avais fait. Pour conjurer le mauvais sort j'aurais dû rebrousser chemin et me changer mais j'allais être en retard et de toute façon je n'étais sûr de rien. J'aurais pu appeler maman pour lui demander confirmation. Mais à trente cinq ans on a son amour propre et l'appeler pour lui poser une question vestimentaire lui aurait mis la puce à l'oreille. Elle se serait immédiatement vue grand-mère. Ma vie privée ne la regardait pas. Elle ne devait pas savoir que j'étais à demi puceau.

Elle ne devait rien savoir non plus de ce rendez-vous de la Saint Jean d'été avec Cécile, une collègue de bureau qui peuplait mes nuits solitaires depuis que je l'avais vue remonter sa bretelle de soutien gorge lors du pot de début d'année. Ce simple geste avait déclenché chez moi des torrents de lubricité qui me laissaient après coup triste et honteux. Mon émoi s'était trouvé accru par l'impression que le geste du début d'année n'avait été nullement fortuit. Cécile semblait ne pas être insensible à mon charme car il lui arrivait fréquemment de rire bruyamment en répétant ce que je venais de dire et en prenant nos collègues à témoin. Eux aussi alors riaient. Elle n'était pas précisément belle, et sensiblement plus âgée que moi, mais en sa présence je me sentais de plus en plus bête, et quand je ne la voyais pas de plus en plus obsédé. C'était une femme, n'est-ce pas?

A ma propre surprise, en ce début de semaine je m'étais jeté à l'eau. Je lui avais proposé de passer avec moi la soirée de la Saint Jean qui tombait un vendredi. Comme ça, avais-je dit, nous pourrions ensemble toucher l'été. Elle avait éclaté de rire: « Toucher l'été. Tu as une drôle de manière d'appeler les choses, mais pourquoi pas après tout » Au début je n'ai pas compris ce qu'elle voulait dire. Et après j'ai réalisé, et mes nuits ont été encore plus enfiévrées. Du coup toute cette maudite semaine j’ai eu du mal à me réveiller le matin et toute la journée j’étais crevé. C’est une des raisons, avec le doute sur la couleur de ma chemise, qui ont fait que je suis arrivé au rendez-vous pas tellement en forme. Sur la chemise heureusement Cécile n’a rien trouvé à redire. Elle a peut-être seulement trouvé bizarres mes questions sur sa couleur et mes explications un peu embarrassées sur maman. Je n’aurais pas dû me lancer sur ce sujet.

En fait je crois que ce qui a précipité les choses c’est mon quatrième bâillement. Elle a interrompu nette sa description de ses dernières vacances en solitaire sur la côte basque. Elle s’est levée de la table de restaurant en me disant : « Pour ce qui est de toucher l’été, tu repasseras »

Depuis nous nous évitons au bureau et je dors mieux.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

On imagine Sylvain l'un des péquenots héros de "Camera café" !

Caustique. J'aime beaucoup

Arthur H. a dit…

Je suis tres flatte de la comparaison!