dimanche 9 septembre 2007

L'expédition

L'horloge indique vingt deux heures trente, mais elle est en avance. Nous aurions pu attendre minuit si le petit Tobi n'avait pas voulu absolument nous accompagner. De toute façon à cette heure-ci nos parents respectifs se sont déjà retranché dans le salon d'apparat. Ils ne s'occupent plus de nous. Nous descendons à pas de loups de nos chambres mansardées par l'escalier de service, poussons nos vélos le long de la grande allée en évitant de faire crisser le gravier. Le petit Tobi, que je prendrai sur mon porte-bagages, me sert la main très fort. Entre deux nuages la lune pleine éclaire presque comme en plein jour.

Sur la route on n'entend que le cliquetis de nos roues. Personne parle. Nous n'avons pas plus de deux kilomètres à faire. On aperçoit déjà le grand bâtiment sombre. Nous mettons pied à terre pour nous approcher à l'ombre des arbres de l'allée. Le petit Tobi tient ma jambe de pantalon.

Zut, la porte est fermée à clé. Nous aurions dû le prévoir. Le petit Tobi commence à pleurnicher. Pas la peine de s'énerver, disent les filles. Il suffit de réfléchir. Elles en ont de bonnes. C'est Magali qui a une idée. Il y a une fenêtre ronde au-dessus du boxe de Flicka qui est toujours entre-baillée. Moi qui suis l'aîné des garçons, on me fera la courte échelle pour que je rentre dans l'écurie. J'ouvrirai le grand portail et nous mettrons la jument à l'abri dans le parc des grands parents. Personne n'osera plus la reprendre pour l'emmener à l'abattoir.

C'est là. La lune permet de repérer la seule fenêtre ronde entrouverte. Ça ne va pas être facile. Le mur est trop haut. Il faudra revenir demain soir avec une échelle. Et sans Tobi, dit méchamment Magali. Le petit se met à couiner.

« Que faîtes-vous là? ». Une voix terrible nous fait sursauter. L'homme nous braque dans les yeux une grosse torche. Les filles crient. Le petit Tobi pleure. L'homme porte un chapeau et quelque chose qui ressemble à un fusil. Tobi hurle qu'il ne veut pas qu'on tue Flicka, que le moniteur a dit ce matin à son cousin que la semaine prochaine elle ne serait plus là. Qu'elle était trop vieille. Cette mauviette va tout faire rater.

L'homme prend la main du petit Tobi. « Suivez-moi ». Il me semble reconnaître la voix du directeur. Il retient notre cousin. Nous n'avons pas le choix. On arrive à un pré derrière les écuries. Il claque la langue. Une forme grise sort de l'ombre.

- Ma vieille Flicka, tes petits amis sont venus voir ton nouveau domaine pour ta retraite. Celle-là, tu l'as bien méritée.

Aucun commentaire: