samedi 7 mars 2009

Baruch Spinoza

Mon nom est Baruch. Baruch Spinoza. Mon logeur, un homme veule à l'esprit faible s'obstine à ne m'appeler que Spinoza: « Voyons Spinoza ... ». Mais moi je sais ce que je veux et je ne lui réponds jamais. Il me croit sourd et vieux. Moi sourd! Quand l'appartement est silencieux la nuit, et que je ne dors pas, j'entendrais le craquement d'une souris. Mais passons.

Il me faut toute la philosophie de mon homonyme pour supporter de vivre dans de telles conditions. Mon logeur n'a aucun sens des valeurs, ni même des convenances. Il sait pourtant, ou plutôt il devrait savoir, qui je suis, ce que je vaux. Et au lieu de ça il me traite comme si j'étais un vieillard impuissant. Il n'a pas l'once d'un commencement de réflexion car s'il avait sagement pris exemple sur moi, qui ai su m'affranchir des tumultes de la passion amoureuse, il ne se serait pas laissé entraîner dans cette histoire avec cette femme, cette Olga, qu'il a finie par épouser et à qui il a fait ces deux « charmants » jumeaux dont je redoute tant la turbulence. Enfin vous sentez bien qu'en disant charmants j'ai mis des guillemets.

Il aurait pu me demander mon avis, depuis tant de temps que nous habitions ensemble. Il aurait pu changer d'appartement. Mais non. Monsieur m'a imposé sa femme. Les baiser à sa femme à tous bouts de champ. Les feulement de plaisir de sa femme. Les remarques désobligeantes de sa femme à mon endroit. C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à feindre la surdité. Et puis les grossesses. Comme madame Olga lui en a fait baver! Je vous passe la petite enfance: les pleurs la nuit, l'odeur des couches, la niaise admiration devant les horribles petites frimousses. J'espérais qu'en grandissant les choses s'arrangeraient mais c'est devenu encore pire. L'appartement a été constamment sans dessus-dessous, mes siestes, à mon âge vous savez, n'ont cessé d'être interrompues par des cavalcades et des pleurs. Ils n'avaient aucun respect pour moi, me prenaient pour leur camarade de jeux. Moi, Baruch Spinoza, le camarade de jeux de ces bambins débrayés, de ces prédateurs, c'est comme ça que je les appelle, aux yeux noisettes et aux boucles blondes!

Il fallait réagir pour ne pas laisser gâcher ces années de ma vie qui pouvaient après tout être les dernières. Bien que n'ayant jamais été moi-même marié je me dis qu'il n'y avait aucune chance que les parents prennent conscience de la situation et qu'il fallait que je m'attaque au couple. Mon raisonnement était que si le couple allait mal, vraiment mal, c'est la femme qui partirait, avec les prédateurs. Quand on vit avec des gens, qu'on est réputé être sourd et inoffensif, et qu'on est malin ce n'est pas très difficile par petites touches insensibles de détraquer la vie quotidienne, de créer des faisceaux d'indices, de faire naître des soupçons. Il faut commencer d'une manière si imperceptibles que les premiers doutes paraissent ridicules et ne donnent pas lieu à explication. Il faut être attentif tout en n'ayant l'air de rien, guetter les regards, les silences. Petit à petit il faut conforter l'édifice. Bien sûr je me suis attaqué d'abord à Olga. Les prédateurs allaient à la maternelle l'après-midi, il pouvait se passer beaucoup de choses en somme et ma présence discrète à l'autre bout de l'appartement n'était pas un garde-fou suffisant contre des aventures extra conjugales.

Lorsque les premiers soupçons furent insupportables pour lui, et à l'occasion d'une tâche mise par mes soins sur sa chemise blanche qu'Olga avait repassée la veille, le mari chauffé à blanc par mes soins discrets éclata, en accusation. Olga s'effondra en pleurs. La sincérité de sa réaction fut prise pour une redoutable preuve de sa duplicité de comédienne. Le ver était dans le fruit. Il ne me resta alors plus qu'à créer également les ravages du doute chez la femme en plaçant quelques longs cheveux, que j'avais récupérés de longue date sur le manteau d'une de leurs amies en visite, sur les chemises au lavage de monsieur.

Une fois la mécanique déclenchée il ne fallut guère plus de six mois pour que le couple éclate et que madame parte avec ses enfants. La vie dans l'appartement retrouva son calme et je servis même de confident à mon logeur. Evidemment ce n'est encore pas parfait. Un week-end sur deux c'est le retour des prédateurs. Alors moi, Baruch Spinoza, chat angora de dix-sept ans qui habite cet appartement depuis que j'ai eu trois semaines, je dois me réfugier sur le sommet du piano pour avoir à peu près la paix.

Mais enfin, c'est tout de même mieux qu'avant.

3 commentaires:

Brigetoun a dit…

débarrassé des passions Barruch ? L'amour égoïste de son confort personnel n'en est pas une ?

Anonyme a dit…

Dix-sept ans ! On sent bien que ce chat a beaucoup d'expérience :)

Prax a dit…

Je comprends définitivement pourquoi je vis avec 2 chiens (et donc pourquoi je suis toujours en couple).