dimanche 4 mars 2007

La veuve Couderc

Cela fait exactement huit jours que personne n’a pu pénétrer dans la jolie maison de village aux volets bleus de la veuve Couderc. Ce n’est pas faute pour ses nombreuses amies, en fait tout ce que le village compte de cuisinières chevronnées, d’avoir essayé. Mais chaque fois ç’a été la même chose. Elle les a reçues sur le seuil de la porte sans jamais leur proposer d’entrer. La porte de la cuisine au bout du couloir était toujours fermée. Malgré leurs tentatives elles ne pouvaient rien voir de ce qui s’y tramait. La veuve Couderc, si accueillante d’habitude, se contentait de parler de son arrière petit-fils qui avait laissé la cible à arc devant la maison aux dernières vacances. Rien de plus malgré les questions obliques.

Le lundi soir, jour de l’ouvroir, toutes ces dames se sont retrouvées pour faire leurs travaux d’aiguilles pour les œuvres de monsieur le curé. Toutes sauf la veuve Couderc. Ce n’était pas dans ses habitudes de manquer ces réunions. Alors bien sûr elles se sont mis à parler de son étrange attitude. C’est Amandine, la femme de l’ancien gendarme, qui a percé l’énigme. Il faut dire qu’une femme de gendarme c’est malin, ça observe. Elle avait croisé la veuve Couderc chez l’épicier samedi et elle avait bien remarqué qu ‘elle achetait en douce une poignée de drôles de petits légumes multicolores. Des légumes comme ça, la femme du gendarme, et pourtant ça en sait des choses une femme de gendarme, n’en avait jamais vu. Et si cette peur de se faire repérer c’était parce que la veuve Couderc s’apprêtait à commettre un crime. Un crime ! Pensez bien que la femme du gendarme avait mené son enquête dès que la veuve Couderc avait tourné le dos. Bien sûr la veuve Couderc avait demandé à l’épicier de ne rien dire mais elle n’avait pas dû penser que le secret professionnel d’un épicier ne tenait pas devant une femme de gendarme. La veuve Couderc avait fait commander spécialement des piments oiseau frais de Guyane.

Alors dans l’ouvroir ce fut soudain l’effervescence. Tout était clair. La veuve Couderc qui depuis quarante années sans exception avait gagné le concours de cuisine du village était en train de préparer un maître coup pour la cinquantième édition. Chacune prit un air entendu, un air supérieur. Pauvre veuve Couderc. L’esprit le plus sauvage de compétition s’était emparé de l’ouvroir.

Dès le lendemain ces dames, en se guettant mutuellement, à l’insu l’une de l’autre, allèrent acheter du piment oiseau chez l ‘épicier. L’étonnant était qu’il avait à profusion de cette denrée plutôt rare dans nos contrées.

Le dimanche du concours annuel de cuisine est enfin arrivé. Il est seize heures. Toutes les cuisinières du village sont là avec leurs tabliers blancs impeccables, à côté de la petite table où leur plat est tenu au chaud sous une cloche de métal. La veuve Couderc, lauréate de l’an dernier, est la première. Monsieur le maire et les conseillers entrent. Ils goûtent le plat de la veuve Couderc. Une gigue de chevreuil. Pas mal, un peu décevant, pensent-ils. Mais les plats des autres candidates sont proprement immangeables, tués par les redoutables piments oiseaux. Les conseillers municipaux transpirent à grosses gouttes, sont pris de hoquets. La veuve Couderc a gagné son cinquantième concours.

Deux mois plus tard elle mourait. Sur sa table de chevet son fils retrouvait le carnet de recettes de la mère de la veuve Couderc. Ce carnet qui lui avait permis de gagner tous ces concours. Il n’avait que quarante neuf recettes.


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1 commentaire:

Anonyme a dit…

La chute est tout à fait remarquable Arthur. J'imagine la
jouissance que tu as eue à écrire
ce texte mais je vais t'avouer
un secret, ce que l'épicier n'a pas
dit c'est que la veuve Couderc n'utilisait pas des piments oiseau
mais des piments antillais beaucoup
plus forts pour semer sur le chemin
de sa résistance.