jeudi 25 janvier 2007

Folie et folie

Alfred Soum s'essuya le visage avec la manche de sa chemise en coton épais, bleu, de chantier. Les éléments de son costume, veste sombre assortie au pantalon, chemise blanche, cravate unie rouge, étaient soigneusement pliés sur la chaise en bas de l'escalier de la cave. Les chaussures vernies bien rangées entre les pieds de la chaise. La grosse malle dans laquelle il avait amené le corps de la fille, la dixième à finir comme çà, était encore ouverte au pied de l'escalier. Alfred Soum devait avoir dans les quarante cinq ans, il était de complexion assez robuste mais çà faisait longtemps qu'il ne pratiquait plus régulièrement aucun sport. Il était content que tout ce cirque soit terminé, comme il se le disait à lui-même. Il était vêtu de son bleu de bricolage, de grosses chaussures de chantier. Il portait encore les gants de cuir épais qui avait préservé ses mains lorsqu'il avait fallu creuser tous ces maudits trous. La fille gisait sur le ventre, l'air vaguement cassé. Alfred Soum frissonna parce qu'il avait transpiré et que l'air de la cave était un peu trop frais. Il ne faudrait tout de même pas qu'il s'enrhume. Il n'était pas sûr de pouvoir distinguer le visage qui en ce moment mangeait la terre de la cave avec celui des neuf autres. Au total tout cela lui laissait des sensations bien vagues. Le ronronnement du moteur de la bétonnière électrique contribuait à son état de relative hébétude. Ce travail physique qu'il s'était imposé avec tous ces meurtres lui faisait du bien. C'était du reste une initiative personnelle de sa part. Ce n'était pas ce qu'on attendait de lui, ce n'était pas pourquoi on le payait. Du reste son chef n'était pas au courant.
Alfred Soum inclina le bec verseur de la bétonnière. Le béton coula, recouvrit le corps de la jeune femme. Avec la pelle il aida à l'étaler pour qu'il remplisse exactement le trou. Il n'y avait pas à dire. Il avait l'oeil, il ne restait rien dans la bétonnière et sa cave serait intégralement cimentée. Il restait à lisser la surface fraîche du ciment avec une grande règle métallique et à attendre que çà sèche. Le vrai travail, le travail délicat, celui qui réclamait toute son attention, Alfred Soum l'avait achevé hier soir en retouchant le dernier des dix clichés. Un travail impeccable, indécelable. Il se déshabilla, mis ses vêtements de bricolage dans la machine à laver du sous-sol, prit sa douche et remit ses vêtements habituels de fonctionnaire sans histoire d'une des plus secrètes des agences fédérales.
Lorsqu'il y avait quatre mois de cela Jim Hopkins avait convoqué en grand secret Alfred Soum, son meilleur agent, il lui avait fait jurer de ne rien dire à âme qui vive, même pas à sa chatte Nora. Jim, dont l'essentiel du métier était de connaître parfaitement ses agents, savait bien que Nora était le seul être vivant avec lequel Alfred Soum entretenait une relation autre que strictement professionnelle. Il lui avait expliqué qu'il s'agissait d'un travail ultra secret qui pourrait sauver la vie de dizaines de milliers de personnes. Jim savait pourtant que ce genre de détails était assez indifférent à Alfred Soum, car il avait très peu d'imagination, mais cela lui donnait de l'importance à ses propres yeux. Le but était d'éviter une guerre terrible au Proche-Orient. Il suffisait pour cela de rajouter certains détails sur des photos satellites, dix au total. Les ajouts devaient être absolument crédibles bien sûr. Alfred Soum qui avait voué sa vie d'agent fédéral à d'obscures travaux destinés à éviter la guerre à son pays se voyait proposer pour la première fois de son existence quelque chose d'aussi important. Il avait également été très sensible au fait qu'on lui fournisse autant d'explications. Les clichés devaient par un cheminement compliqué aider le Président lui-même à convaincre le Secrétaire d'état d'aller à l'ONU pour réclamer une intervention militaire rapide contre le terrible dictateur qui était en train de s'équiper d'armes de destruction massives dont il pourrait faire un usage inconsidéré, notamment contre Israël et contre un pays ami qui avait d'immenses ressources en pétrole.
Il faut reconnaître qu'Alfred Soum avait mis un petit moment à comprendre le raisonnement de son chef. Il ne s'agissait pas de détruire des armes de destruction massive, puisque de toutes façons elles n'existaient pas, mais de renverser un régime hostile pour le remplacer par un régime démocratique. Ce régime démocratique accepterait de vendre aux Etats-Unis tout le pétrole dont ils avaient besoin. Du coup ils ne seraient plus obliger de faire stationner de nombreux soldats dans le pays voisin pour le protéger. Or ce pays voisin était, certes, encore plus riche en pétrole mais il était particulièrement sacré pour les musulmans et la présence de soldats américains sur son sol irritait énormément de musulmans et constituait une menace permanente de tensions et d'attentats. Bref le plan génial permettrait d'un coup de régler un nombre incalculable de problèmes.
Evidemment falsifier une dizaine de cliché n'était vraiment pas très cher payer sur le plan moral pour obtenir un résultat aussi grandiose. D'autant plus que, sauf le Secrétaire d'état, personne ne serait dupe dans le cercle du pouvoir de la falsification. Tout cela était donc extrêmement rationnel. Le seul hic, mais il fut heureusement sans autre conséquence que le malheureux assassinat de dix malheureuses prostituées, fut le scrupule moral de l'agent Alfred Soum. Lui qui n'avait jamais été habitué à juger les situations, estima que pour compenser la tricherie que constituait le trucage des dix photos il fallait qu'il débarrasse la terre de dix prostituées qu'il allait rencontrer discrètement dans des motels situés à des lieux à la ronde.
Bien sûr ni le chef direct d'Alfred Soum ne soupçonna rien de cette folie, ni a fortiori les chefs au-dessus de lui. Albert Soum ne tarda pas du reste lui-même à l'oublier. Mais si tous ces responsables à des degrés divers de la sécurité de leur pays et du monde l'avait sue, n'auraient-ils pas estimé à bon droit que la vie de ces dix pauvres filles était un prix bien faible à payer au regard des longues années de paix et de prospérité que leur intervention militaire allait apporter sur cette poudrière du monde? Une menue folie au service d'un grand dessein de la raison!




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2 commentaires:

Anonyme a dit…

On raconte qu'il restait encore un souffe de vie sur les lèvres de la femme. Je l'ai recueilli dans le tranchant de ma lame.

Anonyme a dit…

Je n'ai pas eu la chance d'aller à l'école. Mais la femme m'a invité avant de partir à être attentive aux fautes d'orthographe. Elle m'a murmuré dans un dernier soupir : entre l'omission du "l" et celle du "r", laquelle choisissez-vous?