jeudi 4 janvier 2007

Le rêve

Arthur Hazel se réveilla de très mauvaise humeur. Lui le révolté, le révolutionnaire même, le militant en tout cas de la cause homosexuelle pour les autres, venait de rêver une fois de plus à sa chef, à l’odieuse Marie Bonsergent. Rien que cette idée de chef (Ne fallait-il pas mieux écrire cheffe ? Arthur Hazel se posa la question) était irritante au plus haut point. C’était en soi une injustice, pis, un déni de justice. Marie n’avait certainement jamais lu un livre de sa vie. Ou du moins jamais lu un livre sans avoir été poussée par le besoin mesquin d’en faire une fiche, de le ranger dans la mémoire morte d’un ordinateur de la Bibliothèque de la ville. (Cette idée que les ordinateurs avaient une mémoire morte et une mémoire vide enchantait toujours Arthur Hazel). Bref jamais lu un livre pour le seul plaisir de la lecture. (Allez savoir pourquoi, cette phrase plut tant à Arthur Hazel qu’il se la répéta plusieurs fois).

Et il devait y en avoir eu des fiches pour que Marie Bonsergent réussisse le concours de Bibliothécaire titulaire de la ville ! Il y avait un poste offert tous les deux ou trois ans et Marie Bonsergent devait bien avoir deux ou trois ans de plus qu’Arthur Hazel. Mais lui n’avait pas passé le concours. Il était contractuel. Il était libre de partir quand il voulait, lui. Lui ce qu’il avait aimé à l’époque de l’université ce n’était pas de faire des fiches ; non ? ce qui avait compté pour lui çà avait été de lire des livres importants et d’en discuter avec des gens qui le méritaient à ses yeux. Des étudiants comme lui, plus beaux que lui. Il était sûr que jamais Marie Bonsergent n’avait passé des heures à commenter le passage de la Science des rêves où Freud raconte qu’un enfant qui a eu envie de cerises, plaisir dont il a été privé toute la journée, rêve la nuit qu’il en mange tout un panier. Jamais Marie Bonsergent n’avait passé des heures à çà comme lui l’avait fait avec Pierre Magloire.

A cette époque, et plus tard par la suite du reste, Arthur Hazel rêvait souvent à Pierre Magloire la nuit. Bien sûr, il ne lui disait pas, rapport à l’histoire du panier de cerises, mais il aurait tout de même bien aimé savoir si Pierre Magloire rêvait quelque fois à lui. Seulement le problème avec Pierre Magloire c’était qu’il ne rêvait jamais à rien. D’ailleurs ces sempiternelles histoires de rêves, il en avait un peu ras le bol, Pierre Magloire.

Le différent aurait pu mettre une distance entre eux, mais non. Le jour où Pierre Magloire lui annonça qu’il allait se marier, un peu précipitamment aux yeux d’Arthur Hazel, avec une camarade de fac au ventre déjà ballonné, il lui demanda d’être son témoin. Ils ne tardèrent pas à se perdre de vue à la suite de la cérémonie, avant même la naissance du bébé, Pierre Magloire manifestant aux yeux horrifiés d’Arthur Hazel tous les symptômes d’un hideux embourgeoisement.

Ce qui était vraiment odieux avec Marie Bonsergent c’était qu’elle considérait fort peu la personne et les idées d’Arthur Hazel. Avec ses centaines de milliers de volumes la Bibliothèque de la ville était organisée comme çà depuis sa création et elle ne voyait aucune raison de chercher à bouleverser les choses. Arthur Hazel avait beau lui répéter à chaque occasion qu’il ne s’agissait pas de bouleverser mais d’améliorer, elle ne voulait rien entendre. Cette étroitesse d’esprit le consternait. Et cela faisait des années que çà durait. Marie Bonsergent ne se sentait tout simplement pas de taille à lutter contre les idées d’Arthur Hazel. Lors de la réunion de service mensuel quand elle demandait à chacun de s’exprimer elle n’avait rien à objecter de sensé aux propositions de Arthur Hazel. Les autres le voyaient bien. Aussi pour ne pas se ridiculiser par des objections dérisoires elle préférait ne pas répondre.

Pour être honnête, et Arthur Hazel était pointilleusement attaché à son honnêteté personnel, il retirait à chaque fois de ces silences, aveux d’une défaite intellectuelle sans cesse renouvelée de l’abjecte Marie Bonsergent, une notable satisfaction d’amour propre. Arthur Hazel dans ces cas-là regardait en coin ses collègues et eux, très gênés de voir leur cheffe en difficulté (décidément c’était comme cela qu’il convenait de l’appeler), regardaient leurs papiers en évitant de croiser son regard. Mais Arthur Hazel sentait bien toute l’admiration et la sympathie qu’ils ressentaient à son égard.

Alors si Arthur Hazel se réveilla de si mauvaise humeur c’était parce que pour la troisième nuit consécutive il rêvait que Marie Bonsergent répondait positivement à ses suggestions. Il rêvait même qu’elle était amoureuse de lui et que cela ne lui déplaisait pas.





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1 commentaire:

Anonyme a dit…

La petitesse des petitschefs. Anne.M.