dimanche 14 janvier 2007

Petit Chose

- J’existe. J’existe. J’existe pourtant !

Une fois de plus Petit Chose vient de perdre sa mère dans la foule compacte qui se presse en cette période de soldes sur les trottoirs des Grands Boulevards devant les magasins renommés.

Petit Chose a un père trop riche et une mère trop belle. Son père, il le voit généralement en fin de semaine, quand il revient d’un pays lointain, d’un pays où se passent ses affaires et d’où il y a longtemps qu’il ne rapporte plus de cadeau à Petit Chose. Petit Chose a treize ans et ce n’est plus un âge où on peut attendre des cadeaux quand son père revient de voyage. Le père de Petit Chose lui a bien expliqué que tous ces voyages il les fait pour lui, pour que quand il sera mort Petit Chose ait beaucoup d’argent. Mais Petit Chose n’a pas envie que son père soit mort. Parfois le père de Petit Chose ne revient pas du tout en fin de semaine parce qu’il a décidé au dernier moment de passer le week-end à jouer au golf, à l’autre bout du monde. Là où Petit Chose n’est jamais allé, là où la mère de Petit Chose ne va plus depuis des années.

Petit Chose sait que sa mère est trop belle. Il le sait parce qu’il voit bien les regards des hommes sur elle lorsqu’elle marche dans les rues de Paris avec lui, mal gracieux, qui trottine à ses côtés. La mère de Petit Chose a des jambes immenses et il a toujours un peu de mal à la suivre quand elle avance à grandes enjambées, sans faire attention à lui. Petit Chose espère qu’il va finir par grandir, comme son père, comme sa mère. Il espère cela des fameux bouleversements qui commencent à se produire dans son corps. Mais pour le moment la seule chose qu’ils produisent c’est qu’il a toujours des boutons et les cheveux gras et que sa mère lui dit que, malgré sa douche du matin, il sent toujours mauvais. Les boutons, il s’en moque un peu. Ce qui le gêne vraiment c’est de se sentir toujours sale, d’incommoder sa mère, de lui faire honte en public.

Quand il était petit ce n’était pas pareil. Lorsqu’un monsieur venait la voir, sa mère prenait Petit Chose sur ses genoux, le cajolait. Elle lui demandait de lui faire de petits baisers dans le cou, elle lui mordillait les oreilles, elle riait bruyamment en montrant ses belles dents. Quelque fois elle l’envoyait brusquement jouer dans sa chambre. Il savait qu’il ne devait pas revenir jusqu’à ce que le monsieur soit parti. Quelque fois le monsieur partait parce que sa mère le lui disait. Souvent Petit Chose sentait que le monsieur serait bien resté à sa place. Il se serait senti si fier si, dans ces cas là, sitôt le monsieur parti, sa mère ne se mettait pas à le gronder pour n’importe quel prétexte. Parfois même elle le giflait sans raison. Mais Petit Chose ne lui en voulait pas : il voyait bien qu’elle était malheureuse.

La maman de Petit Chose était si belle que, quand il y pensait, il n’arrivait plus à penser. Il y avait une sorte de blanc dans sa tête. C’était comme s’il était mort, congelé. Cà pouvait lui arriver à l’improviste, en regardant sa mère, ou même simplement en pensant à elle. Il n’en avait jamais parlé à personne mais il se disait que, peut-être, sa mère se doutait de quelque chose et que c’était pour çà que si souvent elle se moquait de lui, même en public, et qu’elle ne voulait plus le voir au salon quand un monsieur venait lui rendre visite. Petit Chose reconnaissait qu’à treize ans se retrouver sur les genoux de sa mère, çà aurait été un peu ridicule.

Mais pour l’instant Petit Chose cherche sa mère à l’entrée des Grands Magasins,. Elle a dû s’arrêter, sans qu’il le remarque, à un de ces comptoirs en plein air qui vendent des objets de faible valeur. Il sent monter en lui la panique, il se sent abandonné. Elle a disparu pour toujours, lassée de ce fils si balourd, de ce fils si maladroit, si disgracieux. Il va se retrouver seul à errer sans fin dans cette ville indifférente. Il faut surtout qu’il reste calme, surtout qu’il ne laisse rien paraître de sa peur. Cela ne servirait à rien. S’il retrouve sa mère il faudra qu’il ait l’air de ne s’être rendu compte de rien, de ne pas avoir été submergé en attendant par l’angoisse. Il sait que, s’il lui fait la moindre réflexion, elle se moquera de lui toute la soirée, elle lui dira que c’est la dernière fois qu’elle fait des courses avec lui. Tout cela Petit Chose le sait parfaitement mais ce n’est tout de même pas sa faute s’il ne peut s’empêcher de s’inquiéter comme quand il était petit. Quand il craignait que le monsieur fasse mourir sa mère parce que, parfois, il l’entendait crier de sa chambre. Petit Chose sait bien qu’il ne doit rien dire de cette peur qu’il porte au fond de lui. Il ne doit en parler à personne. Il ne peut s’empêcher d’avoir les larmes aux yeux. Heureusement dans cette foule personne ne le remarque.

Petit Chose regarde fiévreusement les visages féminins qu’il réussit un instant à extraire de la foule qui roule autour de lui. Il a du mal à ne pas se laisser entraîner par son mouvement puissant. Des gens le bousculent et maugréent.

- C’est elle !

Non, la femme a le même type de manteau de fourrure, les mêmes cheveux blonds dorés, la même coiffure impeccable, mais ce n’est pas la mère de Petit Chose. Son cœur, que l’espoir avait un instant empli, se serre douloureusement.

Enfin il la voit qui avance, souveraine. Petit Chose ressent une brûlante angoisse. Il faudrait faire comme si rien ne s’était passé, comme s’il ne s’était pas senti abandonné, comme s’il n’avait pas eu peur pour elle. Il faudrait.

- Maman, pourquoi m’as-tu encore perdu ?

La mère de Petit Chose, ne répond pas, elle ne le regarde même pas marcher vers elle. Elle règlera ses comptes avec lui plus tard. Elle ne veut pas sembler prêter attention à lui dans cette foule..

- Maman ! J’existe. J’existe. J’existe pourtant.



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