samedi 20 janvier 2007

Retrouvailles

La Grange aux Loups, le 27 avril 20XX



Philippe,



Je m’attendais si peu à te revoir après ces quelques trente années que tu as dû me trouver bien empotée hier à cette grande soirée quand je t’ai présenté Armand et que tu m’as présenté Cécile. J’ai été touché par la manière dont ils nous ont laissé parler seuls, par la manière surtout dont ils se sont intéressés l’un à l’autre, dont ils ont proposé qu’on se revoie. J’ai été tellement heureuse pour toi quand mon Armand m’a dit combien ta Cécile était quelqu’un de sympathique et de délicat. J’ai bien senti en te voyant qu’elle te rend heureux comme Armand me rend heureuse.

Et pourtant quand j’avais seize ans c’est toi qui étais tout pour moi, et moi je crois que j’étais tout pour toi. A l’époque j’étais dans les affres de l’adolescence. Je ne m’aimais pas, je me trouvais laide, j’étais mal dans ma peau. Seul ton regard sur moi me sauvait. Je me souviens d’un rêve qu’un jour j’avais fait à cette époque et que je ne t’ai jamais raconté. Je nageais difficilement dans une mer immense. Je savais que j’allais me noyer, j’étais prise de panique et puis par miracle je suis arrivée dans une île merveilleuse, un lagon où j’ai pu reprendre pied, me restaurer. Cette île c’était toi. Cent fois par jour je pensais à toi comme celui qui simplement me permettait d’exister.

Ton désir pour moi me faisait un peu peur. Pardonne-moi mais nous n’étions pas très expérimentés, tu étais un peu pressé mais en même temps j’étais profondément touchée de ton appétit pour moi, de sentir que grâce à toi mon corps n’était plus seulement une source de gêne et de honte pour moi, qu’il commençait à se réveiller.

Tout ce qu’Armand m’a apporté tu aurais pu me l’apporter si ton père n’avait pas été muté en Afrique. Et puis, peut-être que non. Nous étions si jeunes, si gauches. Nous aurions eu le temps de nous battre, de nous déchirer. Je préfère ne pas y penser. Tu as été mon premier et, longtemps, mon unique amour.

Même maintenant j’ai un peu de mal à penser que quelqu’un ait pu prendre cette place qui avait été la tienne, sauf que tu resteras toujours le premier. Il faut dire qu’il a fallu du temps. Plus de cinq ans, et à cet âge c’est long. Au début j’étais persuadée que j’allais mourir. Je n’ai pas fait de tentative de suicide ni de crise d’anorexie. Non, ce n’était pas la peine. Il était simplement impossible que je vive sans toi. En fait je ne souffrais pas beaucoup parce que j’étais déjà morte. Et puis, au bout de quelques mois, j’ai fini par réaliser, et là, la souffrance est devenue atroce. J’avais l’impression qu’on m’avait arraché un bras, une jambe, sans m’anesthésier. Après cette phase aigüe qui, heureusement n’a pas duré plus que quelques semaines car je crois que là çà aurait pu mal se finir pour moi, je me suis mise à te retrouver dans des choses qui vont peut être te sembler étrange ou te faire rire. Ton odeur pour moi c’était celle d’une brindille de pommier dont on pèle la peau au printemps et qui sent si doux et si bon. C’est idiot comme idée mais je ne pouvais pas passer devant un pommier sans avoir les larmes aux yeux. Et dieu sait s’il y’en a des pommiers dans notre coin !

Quand j’ai connu Armand, tout naturellement je lui ai parlé de toi, de l’amour de nos seize ans. Il ne s’est pas moqué. Il m’a dit que c’était une belle histoire. Je crois que, même si à cette époque je n’étais plus amoureuse de toi, s’il avait réagi autrement je ne lui aurais pas pardonné. Je crois même que, la manière dont nous nous étions aimé, çà lui a plu. Il m’a dit un jour qu’il avait compris comme çà que l’amour c’était vraiment important pour moi. C’est drôle, tu ne trouves pas ?

Alors, est-ce que j’ai envie que nous nous revoyions ? Non ; je ne crois pas. J’ai peur que ce soit comme d’éventer un parfum précieux. Le véritable amour c’est si beau. En particulier l’amour que nous avons eu l’un pour l’autre était si beau. Il m’a façonnée, il m’a fait grandir, il m’a aidée à devenir la femme et la mère que je suis devenue. Tu vois, quand j’y pense çà m’émerveille. Tu vois aussi que je répète toujours les mêmes choses. Quelle joie de me savoir heureuse, quelle joie de savoir que tu es heureux. Quelle joie de savoir que j’ai Armand et que tu as Cécile. C’est si rare finalement. Ce que nous avons vécu tous les deux nous appartient et ne pourra pas nous être enlevé. A l’époque tu te moquais gentiment de ce que tu appelais mes bondieuseries mais tu vois, de tout çà je rends grâce à Dieu et je suis sûr que nous en faisons bénéficier tous ceux que nous aimons

Philippe, merci d’exister. Donne-moi de temps en temps de tes nouvelles. Je t’embrasse très fort.

Claire, qui se souvient de ses seize ans.


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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Texte d'une exquise délicatesse. A lire et relire le printemps sous une pommier en fleurs.

Anonyme a dit…

La lecture de ce texte savoureux a-t-elle troublé Camille au point de faire une telle faute d'orthographe? Est-il possible de rectifier? "Un pommier" et non "une pommier"... quoique sur un plan purement poétique voire même esthétique le féminin de l'arbre peut aussi avoir du charme!